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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/398

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que, dès le début, le marché se trouva inondé de ce papier : première cause de dépréciation. Ce papier, qui tombait subitement dans des milliers de mains besoigneuses, pressées d’en faire, coûte que coûte, argent comptant, n’avait pour garantie que des droits considérés au moins comme douteux par les masses et ouvertement niés par un parti qui, la veille, était encore au pouvoir : de là deux autres causes combinées de dépréciation. Peu de gens se souciant, en troisième lieu, d’engager leurs capitaux dans l’exploitation de propriétés contestées[1], et la masse des biens nationaux disponibles dépassant d’ailleurs de beaucoup celle des indemnités dues et surtout la limite des moyens de culture existant dans le pays, l’offre, comme on dit, l’emporta dans d’énormes proportions sur la demande, et la baisse croissante de prix qui en résulta pour ces biens vint encore rejaillir sur les titres qui en étaient la représentation. Le gouvernement lui-même, chez qui le besoin d’argent augmentait en raison du discrédit de ces malheureux titres, fut bientôt entraîné à des combinaisons financières plus ou moins directement basées sur cette dépréciation continue, et il l’accéléra par le fait seul de la reconnaître. Bref, bon nombre d’ayant-droits à l’indemnité en terrains en étaient encore à discuter avec eux-mêmes la question de savoir s’il la réclameraient, au risque d’adhérer par là au fait accompli, que la base même de cette indemnité avait à peu près disparu. Les titres dont il s’agit ayant fini par tomber au niveau de nos anciens assignats, des associations d’agioteurs, qui se tenaient aux aguets, en avaient fait rafle un beau matin, et, avec ces titres achetés par elles au quinzième, au vingtième, au vingt-cinquième de la valeur nominale, mais qui se trouvaient représenter, vu l’avilissement subi d’un autre côté par le prix réel des terres, une masse de biens nationaux même supérieure à celle qui correspondait au cours d’émission, elles avaient accaparé le plus clair de ces biens. Le nantissement des indemnitaires ecclésiastiques, représenté par les excédans de recettes à attendre de la rente et de l’aliénation graduelle du nouveau domaine national, n’avait guère un meilleur sort. En apparence identiques, la défaveur dont étaient frappées les terres mises en vente et celle de leur signe circulant avaient si bien agi, chacune de son côté, pour amoindrir cette opulente ressource, qu’elle avait fondu comme neige sous la simple pression des besoins courans. Après avoir tenu dans ses mains les moyens de liquider le passé et d’assurer l’avenir de ses finances, l’état se retrouvait, en face de redoutables

  1. Bon nombre d’indemnitaires libéraux que le besoin n’obligeait pas à faire argent de leurs titres aimaient mieux, tout les premiers, se débarrasser de ces titres à vil prix que de braver l’espèce d’inviolabilité dont l’opinion des masses entourait les biens ecclésiastiques.