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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/603

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Un parlement chassé par exemple, c’est ordinairement une chose qui se remarque et qui fait époque ; ici on en chasse un tous les trois mois : comment ne les pas confondre ? Il n’y a qu’un grand peintre qui, saisissant d’un œil rapide les traits caractéristiques cachés sous tant de ressemblances, vous apprendrait à lire dans cette foule. Il n’y changerait rien, l’aspect en serait le même ; mais quelques touches hardies, quelques franches lumières répandues çà et là feraient circuler plus d’air entre chaque figure, les mettraient chacune à son plan, en accuseraient les différences, vous feraient voir des groupes ; des divisions naturelles que vous ne soupçonnez pas, et d’une informe bigarrure composeraient un tableau aussi clair de dessin que vrai de coloris.

C’est là ce qu’a fait M. Guizot. Sans introduire dans son récit aucun classement arbitraire, il a cherché un plan, tracé des divisions, marqué des temps d’arrêt, des points de reconnaissance pour mieux nous diriger à travers cette foule, pour mieux débrouiller ce chaos. Quatre phases principales lui ont apparu dans son sujet : il a fait son drame en quatre actes, ou pour mieux dire en quatre livres. Le premier est pour Richard Cromwell ; il contient toute son histoire, de son avènement à sa chute, l’espace d’environ sept mois ; dans le second, autre aventure encore plus éphémère : le long-parlement ressuscite ; vieux, décrépit, mutilé, il prétend faire le jeune homme, il veut reprendre ses habitudes ; l’armée l’a rappelé, croyant qu’il était mort ; dès qu’il donne signe de vie, l’armée le met à la porte. Avec le troisième livre, la scène change, un nouvel acteur apparaît : Monk prend en main la cause du long-parlement chassé ; sous couleur de le rétablir, il entreprend le travail d’un autre rétablissement. Nous assistons aux premiers pas de sa ténébreuse campagne ; nous passons avec lui d’Ecosse en Angleterre ; ce livre est son prologue, sa première série de pourparlers et de mensonges. Au quatrième, l’action touche à son terme ; Monk est à Londres, son travail d’approches est fini, la sape du mineur a fait son œuvre, il est au bout de ses parallèles, démasque ses batteries, fait capituler tout le monde, et les Stuarts, sans conditions, rentrent en Angleterre. En groupant ainsi dans des cadres certains événemens principaux, on donne aux mille faits qui s’y rapportent un caractère d’ensemble, une signification commune qui en facilite l’intelligence et en fixe le souvenir. Le seul danger serait que la vérité n’en souffrit quelque atteinte. Il faut que rien de factice ne se glisse dans ces arrangemens ; il faut constater les rapports qui existent entre les choses, n’en inventer jamais, ne point omettre et ne point ajouter, donner à l’ordre un certain abandon, lui laisser l’aspect de la vie. C’est la le grand secret de l’historien. L’exemple en est sous nos yeux. Tout