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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/606

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Londres, à Paris, même à Bruxelles, dans le conseil de Charles II ?

Pour épargner à la couronne cet affaiblissement et cette humiliation, au pays de désastreux efforts, aux impatiens l’ennui d’attendre, il n’y avait qu’un moyen, auquel bien entendu personne ne songeait : il fallait qu’il se trouvât un homme dont le premier besoin, la vocation suprême fût de cacher sa pensée, un maître comédien, un merveilleux trompeur, — cupide, mais de sang-froid, avec discernement, incapable de se vendre avant d’être bien sûr d’un solide acquéreur, — dévoué, par calcul et même par instinct, au service des bonnes causes, craignant le mal et préférant le bien, même à prix inégal ; il fallait encore que cet homme fût assez résolu pour concevoir l’étrange idée de conduire la grande entreprise qui préoccupait tout le monde juste au rebours de ce que tout le monde attendait, c’est-à-dire sans qu’il en coûtât une larme à l’Angleterre ni un droit à la royauté. Par quel prodigieux mélange de bien-joué et de hasard cet homme gagna-t-il sa gageure ? Il faut le demander à cette belle étude que M. Guizot esquissait il y a bientôt vingt ans, et qu’il donne aujourd’hui complétée, agrandie, retouchée avec une sorte de prédilection d’artiste. C’est dans ces pages seulement qu’on apprend à connaître et la figure du personnage et le caractère de son œuvre, prodige de patience et d’audace, conspiration d’un genre à part, ourdie, tramée, conduite par un seul homme, le plus soli taire à coup sûr, le plus discret, le plus silencieux des complots.

À notre avis, le chef-d’œuvre de Monk, son tour de force incomparable, ce n’est pas d’avoir, par de si lents moyens, touché plus vite au but que personne n’eût osé le promettre, ce n’est même pas d’avoir vaincu, l’épée dans le fourreau, autre bonheur inespéré qui lui semblait, à lui, son grand titre de gloire, et dont il faisait sa devise, victor sine sanguine ; c’est un succès plus étonnant, plus improbable encore, la royauté rétablie sans conditions. Était-ce un bien ? n’eût-il pas mieux valu, pour la royauté même, de raisonnables conditions ? L’avenir semble l’avoir prouvé ; mais comme alors on n’avait à choisir qu’entre des précautions certainement mortelles au pouvoir qu’on voulait restaurer, et l’absence de toutes précautions, comme il fallait subir où la tutelle presbytérienne et ses étroites exigences ou la libre volonté d’un prince instruit probablement à l’école du malheur, on comprend qu’entre deux périls Monk ait choisi le moindre : ce qu’on ne comprend pas, c’est qu’il ait réussi. N’était-ce pas pour conquérir des garanties, des sûretés, un pacte sérieux avec la monarchie, que l’Angleterre depuis vingt ans s’était lancée dans les révolutions ? Si lasse, si épuisée, si désenchantée qu’elle fût, pouvait-elle en un jour abandonner son œuvre, perdre le fruit de tant de sacrifices, faire amende honorable, se rendre à