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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/783

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les matériaux nécessaires pour les soliveaux du toit et la couverture du clocher et des trois nefs.

Ces préparatifs terminés, il fallut façonner. L’abbé Dubuis et moi, nous nous mîmes à scier et à couper comme de vrais charpentiers. J’étais peu expert en cette besogne, et même quand je quittais la hache et la scie pour sculpter dans la pierre les croix et l’écusson destinés à la façade, mes mains se remplissaient d’ampoules et de durillons douloureux qui me forçaient à quitter la partie. L’abbé Dubuis au contraire était infatigable. Nous ne donnions plus l’instruction aux enfans que le matin jusqu’à midi. Je préférais, et de beaucoup, l’enseignement au métier de charpentier et de tailleur de pierre ; aussi je remplaçais à l’école mon confrère, qui me remplaçait sur le chantier. De la sorte je ne hachais et ne taillais que dans l’après-midi, ce qui m’allait mieux, et ce qui avançait aussi les travaux, car l’abbé Dubuis s’en tirait beaucoup plus habilement que moi. Rien ne le lassait ; il se reposait en allant chercher çà et là tout ce qui pouvait être utile à notre entreprise. Un jour nous nous aperçûmes qu’il manquait des poutres pour la charpente du clocher ; l’abbé courut tant qu’il découvrit de beaux arbres sur le bord de la rivière, dans un terrain vague ; il n’hésita pas à descendre dans l’eau jusqu’à la ceinture pour couper les arbres à la racine : ce travail lui prit toute une journée ; nous étions en janvier, et je ne comprends pas qu’il en soit revenu sans maladie.

Comme j’étais occupé à arrondir avec un couteau des planchettes de sapin et à les tailler en écailles de poisson pour en revêtir les toits de l’édifice, il m’arriva une aventure qui m’obligea à un petit acte d’énergie. Un de nos colons qui n’avait jamais mis les pieds dans l’église, qui vivait dans un état d’ivresse perpétuelle, qui était un scandale et une honte pour la colonie, mourut ivre dans une rue, en plein midi. Je refusai d’assister à son enterrement, soit comme prêtre, soit comme simple habitant de Castroville. Ce refus était un exemple nécessaire, car la moindre faiblesse dans l’accomplissement des devoirs ecclésiastiques, le moindre relâchement dans les justes et salutaires rigueurs vous mettent à la merci du premier venu en ces pays, où les lois sont insuffisantes pour la protection des particuliers. Si l’on croit qu’on peut avoir bon marché de vos résistances par un moyen quelconque, vous êtes perdu ; aussi, les parens du mort me demandant impérieusement ma présence à la cérémonie funèbre, je déclarai nettement que je m’abstiendrais. « Si vous ne l’enterrez pas de bon gré, nous vous le ferons bien enterrer de force. » Alors je quittai tranquillement ma soutane et leur dis : « Maintenant vous n’avez plus affaire à un prêtre, mais à un Français qui saura faire respecter son domicile, et qui, si par malheur vous vous représentiez