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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/89

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pas ; on les a appelés, ils sont venus. Quoique revêtue maintenant de l’autorité ecclésiastique, leur parole n’est d’ailleurs pas à l’abri de toute censure. Les fidèles que choquerait une liberté trop grande dans l’interprétation du dogme peuvent en appeler au consistoire, et le consistoire en appellerait au synode, qui aurait le droit d’interdire la chaire au pasteur égaré. Cette garantie existe bien en principe ; mais en fait le synode y regarde à deux fois avant de s’ériger en tribunal des consciences, et, pourvu que la conduite du ministre soit irréprochable, on le laisse généralement libre d’enseigner sous sa responsabilité personnelle ce qu’il croit la vérité. Or la vie des pasteurs hétérodoxes est ordinairement exemplaire.

On peut en dire autant des mœurs de l’université de Groningue. Les étudians appartiennent bien à une classe aisée, mais leurs familles sont moins riches que celles des étudians de Leyde. Obligés de se faire une position ; ils connaissent déjà la valeur du temps. La plupart forment entre eux des sociétés littéraires et savantes, dans lesquelles ils s’exercent à cultiver le sentiment du beau et de l’utile[1]. Ce goût des sciences appliquées est d’ailleurs dans le caractère de la race frisonne, à laquelle les habitans de la province de Groningue se rattachent par des traits reconnaissables. La ville subit elle-même cette direction sérieuse et honorable. J’ai visité, durant mon séjour à Groningue, un établissement dans lequel se donnent des cours publics. Ces cours s’adressent à la classe bourgeoise et même à une partie de la classe ouvrière. Quatre fois par an, on tient des séances auxquelles assistent les femmes. Ces jours-là, la salle, si vaste qu’elle soit, se trouve toujours pleine. Cette société, fondée pour la propagation des sciences exactes, existe depuis cinquante-cinq ans. J’ai été surpris d’y rencontrer une curieuse collection d’insectes, surtout de papillons indigènes, faite par le concierge. Le goût de l’histoire naturelle a pénétré ici dans tous les rangs.

La théologie de Groningue a fait école ; nous ne doutons point qu’elle n’exerce à son tour une action sur le mouvement littéraire. On se demande seulement si entre deux influences religieuses, il n’y aurait point place dans la Néerlande pour une littérature nationale, qui, éclairée au rayon du bon sens populaire, aux souvenirs de la gloire, maritime, à l’histoire vivante des mœurs contemporaines, s’affranchirait de toute direction mystique. La race batave est douée d’une originalité forte : en s’étudiant elle-même, en

  1. Dans les trois universités, le nombre proportionnel des élèves catholiques est infiniment faible. Il résulte de là pour les catholiques hollandais une condition d’infériorité intellectuelle. Ces derniers figurent dans la population générale des Pays-Bas pour plus des deux cinquièmes ; ils sont donc presque égaux en nombre, mais non en lumières.