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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/910

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les dernières prohibitions qui existent, en les remplaçant par des droits suffisans pour protéger l’intérêt industriel national. Ainsi on marche par degrés dans cette voie où les restrictions commerciales s’effacent pour faire place à un régime nouveau propre la concilier tous les intérêts.

Quand on observe l’histoire d’un temps, quand on vit surtout en quelque sorte au milieu de cette histoire qui se fait chaque jour, elle apparaît multiple et confuse dans ses mille détails du moment, dans ses incidens fugitifs et contradictoires. Les faits de tout genre, grands ou petits, se mêlent et se succèdent, le cours des choses se déroule sans qu’on puisse souvent en saisir le sens, sans qu’on puisse même savoir où l’on marche. Mais ce présent deviendra à son tour le passé, les questions qui remuent le monde ou celles qui l’occupent un instant se classeront à leur rang, et tous cas faits insignifians ou durables deviendront les élémens d’un chapitre de plus dans l’histoire d’un peuple. Il y a dans cette histoire permanente de tous les peuples une question qui les résume toutes : comment une nation s’est-elle formée ? Quels sont les ressorts de son existence ? par quels chemins arrive-t-elle à la prospérité ou au déclin ? C’est le problème de toute une vie prolongée de siècle en siècle. Or dans cette vie combien est-il de peuples assez grands pour qu’on puisse étudier les causes de leur grandeur, assez heureux pour qu’on n’ait point à rechercher les causes de leur décadence ? M. Gouraud a trouvé un de ces peuples dans une île, « l’île Porte-Sceptre, comme l’appelle Shakspeare, terre de majesté, ceinte d’une mer triomphante : » c’est l’Angleterre, « cette Angleterre accoutumée à soumettre l’étranger, » selon le poète. L’auteur n’a point trouvé ce peuple dans son île seulement, il l’a trouvé dans tous les coins du monde, dans toutes les mers, partout, en un mot où a pu s’étendre cette étrange puissance britannique. M. Charles Gouraud n’a point écrit une nouvelle histoire proprement dite de la nation anglaise ; il a écrit une Histoire des couses de la grandeur de l’Angleterre, parcourant rapidement les annales de la société anglaise, marquant les points principaux, dégageant les traits saillans, éclairant cette route où une grande race s’avance avec une incomparable énergie, et il a tracé un tableau aussi animé qu’instructif. Le livre de M. Gouraud se résume en trois mots : formation, virilité, prépondérance ; c’est la destinée du peuple anglais.

Il y a un moment où se révèlent déjà tous les principaux élémens de la puissance britannique : c’est le XVIe siècle. La liberté politique, qui, à vrai dire, se mêle à tout et est la raison de tout dans l’histoire de cette race, n’a point encore trouvé son équilibre ; mais elle existe en germe, comme un legs du passé qui va s’agrandir. L’instinct commercial et industriel se manifeste ; le génie de l’agrandissement colonial s’éveille. La réforme religieuse, qui semble si singulièrement appropriée au caractère du peuple anglais, devient entre ses mains un instrument de politique extérieure, en même temps qu’elle devient pour ainsi dire la clé de son développement moral. Shakspeare naît pour élever la langue anglaise à la hauteur d’une poésie incomparable. Le XVIIe siècle s’ouvre : c’est le champ de bataille où vont se mêler et se résoudre tous ces élémens. L’Angleterre sort de l’épreuve sanglante avec la liberté politique et avec l’acte de navigation de Cromwell, c’est-à-dire avec tout ce qui fera sa grandeur. La liberté politique peut avoir