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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/122

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prière : «En voilà assez sur votre ami, qui est certainement un homme plein d’esprit, quoique animé d’un peu trop de zèle pour un philosophe; permettez-moi d’ajouter maintenant un mot pour vous-même. Chaque fois que j’ai eu le plaisir de me trouver en votre compagnie, si la conversation roulait sur quelque question de littérature ou de raisonnement, je vous ai toujours quitté à la fois instruit et charmé; mais quand vous en détourniez le cours vers ce qui fait l’objet de votre profession, malgré vos intentions, sans doute fort amicales, j’avoue que je n’ai jamais éprouvé le moindre plaisir; je me sentais gagné par la fatigue, et vous par l’irritation. Je désirerais donc qu’à l’avenir, lorsque ma bonne fortune me fera vous rencontrer, ces questions fussent entièrement écartées. J’en ai fini depuis longtemps avec toute étude sur ces matières, et je suis devenu incapable d’instruction, tout en reconnaissant que personne n’est plus que vous en état d’instruire. »

Hume défendait avec fermeté la liberté de sa conscience, mais personne aussi ne savait mieux respecter celle d’autrui. Il n’essaya jamais d’imposer à qui que ce soit une seule de ses opinions. A mesure que l’âge calma chez Hume la ferveur philosophique, seule passion de sa jeunesse, il s’habitua de plus en plus à n’envisager ses propres doctrines que comme autant de sujets d’étude proposés aux méditations des gens d’esprit. En appréciant avec cette modestie le résultat et la destinée de ses travaux, Hume se montrait fidèle à l’esprit de son système; en même temps il entrait peut-être dans son fait un peu d’effroi des conséquences de sa philosophie. Cela nous paraît surtout vrai de la maturité de sa vie. Le scepticisme absolu auquel il était forcé d’aboutir satisfaisait sa logique beaucoup plus que son cœur et même que sa raison; il n’en voulut jamais admettre les conséquences pratiques, soit dans sa conduite, qui fut jusqu’au bout honorable et pure, soit dans ses écrits historiques, soit même dans ses principes de morale. Il exprima en mainte occasion le regret d’avoir publié trop tôt son système et de l’avoir développé avec une logique à outrance. Il est certain que dans les Recherches sur l’entendement humain, il a affaibli plutôt que fortifié l’enchaînement de ses idées, et en a autant que possible atténué la portée. Son Traité sur les sentimens moraux est une infidélité plus complète encore à sa doctrine, car il est impossible de donner un fondement positif à la loi morale lorsqu’on n’admet pas que l’intelligence puisse s’élever au-dessus du doute. De même en religion Hume ne pouvait admettre que l’existence de Dieu fût démontrable : rien ne prouve pourtant qu’il ait refusé d’y croire. Dans plusieurs passages de ses écrits, quand il insiste avec le plus de force sur l’impossibilité où est la raison humaine d’atteindre à la certitude, il semble tout près d’accepter la révélation divine comme source de certaines grandes vérités que