Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

senta partout, et se chargea volontiers de l’emmener en Angleterre et de l’y établir. Il lui trouva en effet chez un de ses amis une résidence à son goût, l’y fit entourer de tout le comfortable possible et obtint en outre pour lui du roi d’Angleterre une pension qui assurait son existence. C’est à ce moment que Rousseau, cédant à l’ennui de la solitude et pris d’un accès de cette folie intermittente qui le conduisit à mettre fin à ses jours, s’enfuit tout à coup de Wooton, se déroba pendant une semaine ou deux à toute recherche, et lança dans le monde la lettre célèbre où il accuse Hume d’être entré dans un grand complot qui avait sa perte et sa mort pour objet. Hume fut d’abord d’avis de laisser sans réponse les attaques de Rousseau; mais on fit valoir auprès de lui les exigences de sa position officielle, on l’alarma sur l’effet que ces attaques pouvaient produire en France, où il avait laissé une si bonne renommée. Hume, inquiet et indécis, consulta ses amis de Paris : tous, même le sage et judicieux Turgot, furent d’avis qu’il était nécessaire de publier une réponse, et Hume fit imprimer sa correspondance avec Rousseau. Ce fut une bonne fortune pour les nombreux ennemis de Rousseau; mais ce fut aussi pour ses partisans un prétexte d’attaquer Hume, et celui-ci regretta plus d’une fois de voir son nom sans cesse mêlé à une polémique acharnée qui finit par fatiguer le public.

Après le renversement du ministère dont il faisait partie. Hume renonça à la politique et retourna en Écosse. Il avait alors cinquante-huit ans, il avait plus de fortune qu’il n’en avait jamais souhaité. Lui, qui s’était cru dans l’aisance le jour où il avait eu 1,000 livres sterling de capital, il avait alors 1,000 livres de revenu. Il avait acquis par son passage aux affaires assez d’influence et de crédit pour être utile aux siens; sa réputation était à l’apogée. Il lui fallait presque chaque année donner une édition de ses ouvrages. Il était accablé de marques de considération et d’estime par tout ce qu’il y avait d’éminent en Angleterre et sur le continent : il se résolut sans peine à passer dans un repos plein d’honneur et au milieu de ses amis le reste de ses jours. Il revint à Edimbourg, dont il était désormais un des plus riches habitans, s’y fit bâtir une maison, y prit équipage et ne songea plus qu’à réunir autour de lui les compagnons de sa laborieuse virilité, pour leur faire apprécier, comme il l’écrivait plaisamment à Gilbert Elliot, la supériorité de sa cuisine et sa parfaite compétence en fait de soupe à la reine, de ragoût de mouton et de vieux bordeaux. C’est au sein de ce cercle de vieux amis, entre de gais repas et de savantes conversations, que s’écoulèrent les sept dernières années de la vie de Hume. Il n’écrivit plus rien, sauf les quelques pages intitulées Notes sur ma Vie, qu’il dicta quelque temps avant sa mort, pour être mises en tête d’une édition de ses