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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/216

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dîner, il passe au conseil, où chaque jour de la semaine a une assignation qui ne varie jamais. Les lundis et mercredis, conseil d’état; les mardis et samedis, conseil des finances; les vendredis sont consacrés au conseil de conscience avec l’archevêque de Paris et successivement avec les pères de La Chaise et Tellier; le roi travaille en outre trois fois la semaine en particulier avec les secrétaires d’état de la guerre et de la marine. A l’issue de son travail, il sort avec sa cour soit pour la chasse, soit pour se promener dans ses jardins; le soir, il passe un moment chez la reine; puis, après la mort de celle-ci, chez les deux princesses qui portèrent l’une après l’autre le titre de dauphines. Il entre de là, selon les dates, ou chez Mme de Montespan ou chez Mme de Maintenon. Enfin, lorsqu’à partir de 1686 toute la cour est associée au secret de sa vie domestique, Louis XIV mande ses ministres et les généraux de ses armées chez la femme qui, durant vingt-cinq années, fut plus reine de France que ne l’avait jamais été l’infante d’Espagne : il travaille avec elle en croyant ne travailler que devant elle, entend quelquefois de la musique, soupe et se retire vers une heure du matin, et cette accablante journée finit par le petit coucher, où chacun, remplissant les fonctions que lui assigne l’étiquette, devenue la seule constitution de l’état, présente le bougeoir au roi, ou ferme les rideaux de son lit après qu’il a fait sa prière en public et sacramentellement donné le bonsoir à la nombreuse assistance.

Tel est le joug que porte résolument et de bonne grâce le maître absolu de la première monarchie du monde. Strict pour lui-même, Louis XIV se croit le droit de se montrer non moins strict pour autrui, et malheur à quiconque paraît inexact ou lassé dans cette dispensation quotidienne des mêmes services, des mêmes respects et des mêmes plaisirs! On pardonnerait plutôt à Villeroy la surprise de Crémone et à Tallard le désastre d’Hochstett qu’une omission des devoirs personnels dont l’accomplissement se confond dans la pensée du monarque avec le culte même de la monarchie. Quiconque vit à la cour n’a ni le droit de s’en dispenser ni même celui d’être malade. La duchesse de Bourgogne devra jusqu’à son dernier souffle tenir le salon du roi; la duchesse de Berry, grosse de neuf mois, recevra l’ordre de suivre la cour à Fontainebleau, au risque d’accoucher en chemin, et Mme de Maintenon traînera, en compensation de ses grandeurs, une vie d’exigences qu’il faudrait nommer tyranniques, si une respectueuse tendresse n’avait point allégé le poids de cette lourde chaîne. Chez Louis XIV, le roi avait absorbé l’homme, et son cœur s’était figé sous sa couronne.

Devenu la loi vivante dans l’ordre politique et presque dans l’ordre religieux, le prince se trouva naturellement conduit à envisager comme criminelle toute tentative pour devenir ou pour demeu-