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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/264

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courrez de grands dangers. Sellons nos chevaux, je vais vous révéler cela. »

« Nous partîmes pour les montagnes et courûmes toute la journée. Après nous être reposés le soir, nous reprîmes notre course la nuit, « car, disait mon compère, il ne faut pas que nous soyons aperçus de l’un des Indiens, qui demeure près de l’endroit où je vous mène. » Nous gagnâmes à travers les ténèbres l’entrée d’une vallée étroite; les chevaux furent laissés là, et alors commença l’ascension d’une colline très escarpée sur laquelle je distinguai, malgré l’obscurité, des cactus et des pitas. Nous grimpions depuis un quart d’heure, quand mon compère s’arrêta, cueillit trois feuilles sur trois plantes de même espèce et me dit : « Prends ces trois feuilles, don Ignacio, garde-les avec soin; lorsqu’elles sont séchées, broyées et mises dans le creuset, leur seule présence sépare à l’instant l’or et l’argent de tout alliage. » Je serrai les feuilles dans ma poitrine, comprenant toute l’importance de ce secret, et nous repartîmes. Je gravai dans ma tête certaines indications pour reconnaître cette bienheureuse vallée, et, quand vint le jour, je regardai à la dérobée ces trois feuilles. Jamais je n’en avais vu de pareilles : elles étaient longues comme des feuilles de tabac, et recouvertes d’un poil blanc qui les rendait au toucher aussi douces que du velours. Pour exploiter cette découverte, je me rendis aux mines d’argent dans les montagnes du Mexique. Je m’adressai à un des plus riches propriétaires de mines, dont la probité était connue, et lui offris de le conduire à l’endroit fortuné pour quatre talègres d’or. Il y consentit, mais à la condition de faire un essai préalable sur les trois feuilles que j’apportais. L’expérience réussit parfaitement. L’emploi d’un procédé si simple devait introduire dans l’exploitation des mines une économie considérable; aussi, sans tarder d’un seul jour, le propriétaire et moi partîmes pour Saltillo. Nous y entrâmes de nuit pour ne pas éveiller l’attention de mon compère. Je retrouvai bien la vallée, mais quel fut mon désappointement, quand je ne pus découvrir la moindre feuille de l’espèce désirée! Nous parcourûmes la vallée en tous sens; peine inutile, et pourtant c’était bien là. Il fallut s’en revenir tout tristes et tout désespérés. Le propriétaire regretta vivement de n’avoir pas gardé une des trois feuilles, qu’il aurait pu envoyer à un botaniste de Mexico pour en connaître le nom et avoir quelques renseignemens sur les endroits où elles poussent. Quant à moi, j’achetai, avec le peu d’argent qui me restait, des bœufs et deux charrettes pour faire le transport des marchandises de Matamores à Monterey. Par malheur, le jeu me fit perdre tout mon gain, puis mes charrettes, puis mes bœufs. Je me fis barillero à Brownsville, ensuite peon. Maintenant je suis corrigé de ma fatale passion, je me conduis bien, je travaille