Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est ainsi qu’on a raisonné à Vienne, et c’est pour favoriser l’exécution de ce projet que l’empereur a parcouru ces différens pays.

« On ne peut pas encore juger du succès de ces desseins; on peut seulement remarquer que les directeurs de la compagnie orientale s’en tiennent si assurés, qu’ils y ont affecté une somme considérable d’argent. Suivant quelques avis, on a résolu d’employer à aplanir les chemins cinq régimens qui ont actuellement leurs quartiers dans la Moravie et la Bohême; d’autres assurent qu’à l’avenir ce sera de Trieste que le roi d’Espagne tirera tout le vif-argent nécessaire pour les galions. »


Ce qui frappe d’abord dans ce récit, c’est le contraste qui règne entre la pompe déployée par l’ambassade extraordinaire qui vint de Venise complimenter l’empereur et le spectacle, profondément triste pour des Vénitiens, auquel elle avait mission d’assister. Que venait-elle saluer à Trieste, si ce n’était le premier essai des forces d’une cité rivale de Venise et la fondation des batteries qu’on élevait pour la ruine de ses propres murailles ? La présence des envoyés et chacun de leurs sourires étaient autant de diagnostics de la caducité de la république, et quelques-uns des plus jeunes d’entre eux devaient vivre assez pour assister à sa chute.

Dans cette visite, l’empereur Charles VI dota la ville de Trieste d’une de ces grandes foires dont la périodicité accoutume le commerce à prendre les voies dans lesquelles il marchera plus tard tous les jours : il décréta la construction d’un nouveau port et l’ouverture des routes de Trieste à Vienne par Gratz, et à Carlstadt par Fiume. Il fit quelque chose de plus significatif en établissant, sous la protection de puissantes batteries, dans le havre de Buccari des chantiers de construction pour les bâtimens de guerre. Ce bassin gît au fond du golfe du Quarnero, à 10 kilomètres au sud de Fiume; il offre une nappe d’eau de 5, 500 mètres de longueur sur 800 de largeur moyenne, communique avec la mer par un goulet de 200 mètres à peine d’ouverture, et l’on y pouvait défier toutes les forces des Vénitiens. En 1710, l’empereur décréta la franchise du port de Trieste. On peut aujourd’hui contester les avantages généraux de l’institution des ports francs : n’en eût-elle pas eu d’autres, dans les circonstances où cette application en fut faite, que d’attirer sur la côte d’Istrie quelques-uns des navires que rebutait la fiscalité inquisitoriale des douanes de Venise, l’effet en aurait été excellent. La république voulut répondre en 1736 à cette espèce de défi par l’affranchissement d’un quartier de son port; mais ce remède fut impuissant, et l’on y renonça après quelques années d’une expérience infructueuse.

L’impératrice Marie-Thérèse continua l’ouvrage de son père; elle agrandit le port de Trieste, construisit la citadelle, et le plan publié en 1771 par l’ingénieur français Bellin montre en quel état la ville était à cette époque. Elle était devenue la patrie d’adoption d’un