Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/445

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divine, puisque chacun les prend pour des anges sur la terre, Adam dans le paradis terrestre nommait chaque chose et chaque créature par son nom, et pourtant il n’avait appris aucune langue. Les poètes veulent aujourd’hui faire pour l’histoire ce qu’Adam faisait pour la création. Leur prétention est de tout deviner. Quand ils se trompent, c’est pure étourderie, ce n’est jamais ignorance. C’est du moins l’opinion de leurs plus fermes admirateurs. Ils ne peuvent ignorer, puisqu’ils sont doués de la science intuitive. Ils ont tout au plus oublié. Ils sont si loin du ciel, leur première patrie, que les défaillances de leur mémoire ne doivent pas nous étonner. Leur patrie nouvelle, la patrie que l’exil leur impose, est si pleine de misères, que leur nature s’appauvrit à leur insu. Ils oublient, parce qu’ils ne sont pas au milieu de leurs pairs. Ainsi, quand on se permet de leur dire qu’ils se trompent, on commet une impardonnable bévue. On les accuse de paresse, d’ignorance, on ne devrait s’en prendre qu’à leur mémoire. Ignorer, oublier sont deux choses qu’il n’est pas permis de confondre. L’ignorance est purement humaine, l’oubli ne doit pas nous étonner de la part des créatures divines. Quand il plaît à M. de Lamartine de raconter à sa manière l’histoire de la littérature française, nous aurions mauvaise grâce à lui demander pourquoi il traite les documens dont l’autorité n’a jamais été contestée avec un sans-façon qui blesse les hommes studieux. Les poètes ne sont pas faits pour écouter, encore moins pour accueillir de telles questions. Que leur parole s’accorde ou ne s’accorde pas avec les faits accomplis, peu importe. Notre premier, notre plus impérieux devoir est d’entendre leur parole avec respect.

Les conseils que je donne ici au lecteur ne m’appartiennent pas. Je ne suis qu’un écho, je répète humblement ce que disent en toute occasion les admirateurs de M. de Lamartine, non pas les admirateurs éclairés, mais ceux qui confondent la dévotion avec la superstition. Je crains pourtant, et pourquoi ne le dirais-je pas? qu’ils ne discréditent leur idole en lui attribuant de trop nombreux privilèges. La divinité des poètes n’est peut-être pas aujourd’hui un argument sans réplique. On veut bien ne pas la révoquer en doute, pourvu qu’ils se contentent de chanter ou de pleurer. Dès qu’ils désertent l’ode et l’élégie, et s’aventurent dans le champ de l’histoire, on écoute ce qu’ils disent comme des paroles purement humaines, et le doute commence, doute impie, je l’avoue, mais enfin doute avéré. Je crois donc que les admirateurs superstitieux de M. de Lamartine agiraient sagement en lui conseillant l’étude de l’histoire politique et littéraire, si toutefois il peut s’y résigner. S’ils continuent à l’encourager dans le dédain des faits accomplis, ils lui rendront, sans le vouloir, un très mauvais service. Les esprits sceptiques, et le