Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme elle passait rapidement sous les arbres, ne sachant pas ce qu’elle voulait faire, elle vit un coupé qui s’arrêtait sur la chaussée. Un homme et une femme en descendirent. Madeleine avait reconnu Urbain avant de le voir. Elle se jeta vivement en arrière pour l’éviter, puis s’éloigna en chancelant. A peine chez elle, Madeleine tomba sur son lit, ahurie et brisée. Elle avait d’horribles envies de crier; pour y résister, elle cacha sa tête dans un oreiller. Le feu de ses paupières avait séché ses larmes. — C’était donc vrai, bien vrai! répétait-elle avec la monotonie d’un balancier qui bat les secondes. Il y avait des instans où le bruit de sa voix la faisait tressaillir. Alors elle s’arrêtait. Elle pensa tout d’un coup à la campagne où elle s’était mise à aimer Urbain. — Ah! malheureuse!., s’écria-t-elle. En une minute, ses joues furent inondées de larmes. Elle ne croyait plus aimer Urbain avec cette violence et cette ferveur des premiers jours. Elle l’entendit rentrer bien avant dans la nuit. Le bruit de la clé tournant dans la serrure la fit sauter sur son lit. Madeleine éprouva une envie sauvage de courir au-devant d’Urbain et de lui crier : Je sais tout! — Mais après?.. Elle regarda le berceau de sa fille et se contint. Au matin, lasse de pleurer, elle se leva pour ouvrir la fenêtre et respirer un peu d’air frais. Un miroir lui renvoya son image blême et altérée par la douleur et la fatigue de cette nuit d’insomnie. Elle sourit. — Ah! voilà ce que le père Noël ne m’avait pas dit! murmura-t-elle.


VII.

Cette découverte avait brisé sa force, comme un bûcheron casserait un jeune arbre d’un seul coup de hache. Elle n’eut pas un seul instant la pensée du doute, mais au milieu de son abattement elle fut surprise par des révoltes intérieures; elle s’indignait de trouver l’image de son mari si maîtresse de son cœur alors qu’elle avait une fille. — Pourquoi lui seul? pourquoi? se disait-elle... Oh! je l’en arracherai! — Pendant quinze jours, elle ne put se résoudre à prendre un pinceau. Paul frappa à sa porte inutilement. Madeleine ne voyait personne. La pensée, moins que la pensée, l’espérance qu’Urbain l’aimait toujours l’avait soutenue jusqu’alors. Privée de cet appui, elle se sentait seule. A qui pouvait-elle se plaindre? Ne l’avait-elle pas choisi contre le conseil de tous les siens? Il lui fallait donc dévorer sa douleur et s’en repaître jusqu’à ce qu’il n’en restât rien. Quelquefois la nuit elle se réveillait en sursaut; elle venait de revoir en rêve les yeux hardis et le profil maigre de la femme au chapeau rose. Pour la chasser de son souvenir, elle courait au petit lit de Louison et la couchait près d’elle.

Chaque jour, Madeleine surprenait chez son mari des mouve-