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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/198

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sait enfin comment l’union projetée des principautés a mis tout d’un coup d’accord l’Angleterre, et par conséquent la presse anglaise, avec l’Autriche, accablée quelques jours auparavant de menaces et d’insultes. Toutes ces variations n’étaient donc que la conséquence d’une volonté persévérante, celle de limiter la puissance de la Russie avec l’aide de tous ceux qui voudraient s’associer à cette tache, et malgré tous ceux qui voudraient y faire obstacle. Il n’y a d’ailleurs rien d’obscur ni d’incertain dans cette politique, mobile en apparence et invariable au fond, qui, sur toutes les questions étrangères, dicte le langage de la presse anglaise. Elle-même n’en fait nullement mystère, et c’est là ce qui rend quelquefois plaisante l’indignation qu’inspire cette conduite aux journaux du continent. Ils découvrent avec fracas ce qu’on ne se fait aucun scrupule de leur dire tout haut. Cette diplomatie de la presse anglaise, qu’ils croient éventer, est une diplomatie à ciel ouvert et qui joue cartes sur table.

Mais on ne songe peut-être pas assez à l’intelligence pratique et au sang-froid que suppose dans le public anglais cette merveilleuse flexibilité de la presse. Pour qu’elle puisse impunément et même utilement conformer ainsi son langage aux circonstances, il faut à la fois que le public soit convaincu de l’importance supérieure de la question qui impose de tels changemens, et qu’il soit dégagé de toute passion durable à l’égard des peuples étrangers. En effet, si le public ne comprenait pas clairement l’intérêt national qui conduit la presse, il serait révolté de son inconstance ; s’il éprouvait à l’égard de quelque peuple une haine irréconciliable ou une sympathie trop vive, il ne pourrait conformer la mobilité de ses sentimens à celle des alliances de son pays, et comme il réagirait contre les impressions que la presse voudrait lui donner, celle-ci serait obligée de le suivre. D’une part cependant le public anglais, rempli d’un certain dédain pour les nations étrangères et convaincu de sa propre excellence, n’aime et ne hait profondément personne ; de l’autre, la situation si simple de son pays et la netteté de sa politique étrangère l’ont depuis longtemps accoutumé à comprendre et à suivre le mouvement de la presse. Maintenir à tout prix l’équilibre entre les grandes puissances du continent, c’est pour l’Angleterre plus qu’une politique, c’est la condition de son existence. Que nous passions le Rhin, les Alpes ou les Pyrénées, que la Russie s’avance sur l’Oder ou sur le Danube, et l’Angleterre se sent attaquée aussi directement que si l’on touchait ses rivages. Et elle a raison, car si le continent a un maître, elle est condamnée à périr ou à le renverser. Ce principe élémentaire de la politique anglaise dans ses rapports avec le continent est gravé dans l’esprit du public aussi profondément que l’instinct de la conservation chez tout être vivant. Aussi suffit-il à la presse, même sans prendre la peine d’exprimer