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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/204

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fatale simplicité. La situation géographique de notre pays, les longues guerres que nous avons soutenues contre l’Europe, les conséquences également inouïes de nos victoires et de nos défaites nous ont habitués à considérer l’étranger comme notre sujet ou comme notre maître plutôt que comme notre égal. Comme s’il n’y avait pour nous d’autre alternative que de dominer l’Europe ou que d’en être accablé, nous ne voyons guère dans la politique étrangère qu’une occasion de nous enorgueillir ou de nous désespérer. Quand nos journaux veulent nous tenir en belle humeur à l’égard de nos gouvernemens, ils nous font entendre que l’étranger nous obéit ; quand ils veulent nous humilier et nous irriter, ils n’ont rien de mieux à faire que d’insinuer que c’est l’étranger qui nous mène. S’ils sortent de l’un ou de l’autre thème, on se défie d’eux ou on ne les comprend plus.

L’amour et la haine de la révolution, qui se partagent si profondément la France, sont aussi pour beaucoup dans le parti pris avec lequel nous envisageons les affaires étrangères. Pour ceux qui voudraient voir la révolution morte et enterrée comme pour ceux qui lui souhaitent longue vie et prospérité, les nouvelles étrangères ne sont guère que le bulletin quotidien de sa santé, et ils vont tout droit aux journaux qui rédigent ce bulletin selon leurs vœux et selon leurs espérances. Partisans de la paix à tout prix, partisans de la soumission définitive de la terre, de la lune et des étoiles à la France, amis et ennemis de la révolution, tout ce monde enfin, altéré de nouvelles et surtout de prophéties contradictoires, s’en va demander aux journaux sa pâture, et chacun y trouve régulièrement la seule qu’il puisse supporter. Ce ne sont donc point les nouvelles les plus sûres qu’il faut à ce public, mais les plus agréables, non pas les plus fraîches ni les mieux prouvées, mais les plus propres à l’endoctriner et à l’émouvoir comme il veut être ému et endoctriné ; C’est même l’irriter que d’annoncer ou de prévoir autre chose que ce qu’il désire, et ceux qui voient clair doivent feindre au moins d’avoir la vue troublée, sous peine d’être odieux à ceux que la passion aveugle. Si d’ailleurs l’événement prouve que l’on a fait fausse route, peu importe, pourvu que lecteurs et journaux y aient marché ensemble et du même pus. L’événement, ce juge redouté de la presse anglaise, n’a pour la nôtre aucune conséquence fâcheuse. Le public souffre volontiers les erreurs qu’il a souhaitées et partagées ; rien n’égale même sa reconnaissance envers ceux qui l’ont agréablement trompé, si ce n’est son désir de l’être encore.

Ce qui se passe à l’intérieur du pays n’est pas moins imparfaitement constaté par la presse française que ce qui se passe au-delà de nos frontières. Cette négligence s’explique aisément par la peur, quand la presse n’est pas libre ; mais quand elle est libre, l’esprit