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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/211

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Je sais bien que les savans ne croient pas que ce dialogue soit de Gerson. Je l’en aime mieux : j’aime mieux qu’il ne soit pas du docteur très chrétien et d’un des plus grands et des plus saints hommes du XVe siècle. Les grands hommes prêtent volontiers leurs pensées et leurs sentimens à leur siècle ; il vaut donc mieux, comme témoignage historique, que le dialogue entre le soldat anglais et le soldat français soit anonyme et soit sorti de la foule. J’y reconnais mieux le sentiment général. Cette crainte de Dieu seul et cette haine des Anglais persécuteurs de la France, cet enthousiasme religieux et patriotique qui court au martyre pour délivrer la patrie, voilà les sentimens qui se répandaient d’âme en âme, et qui fermentaient dans la foule. Ce soldat français pris au hasard dans l’armée, ce guerrier qui est un mystique ou ce mystique qui est un guerrier,-voilà le précurseur de Jeanne d’Arc. La France au XVe siècle semble chercher d’abord dans la vie contemplative de quoi se consoler de sa décadence nationale. Elle se ranime par les pensées du ciel, les seules qui raniment véritablement l’homme en l’élevant, et elle sort de la vie contemplative pour recouvrer glorieusement le sol national.

Le XVIIe siècle est le dernier grand siècle religieux de la France : il n’en est pas le plus grand, j’aime mieux le XVe siècle, mais il en est le plus éloquent. Que de grands génies et de grandes vertus qui procèdent tous de la religion ! Quel souffle de foi et de science divine partout répandu ! Il y a de grandes fautes et de grands scandales à côté de cela, je le sais : j’ai lu le prince des médisans, Saint-Simon ; mais quelles pénitences et quels repentirs ! Peu pécher et peu se repentir, vertu des siècles tièdes et médiocres ; beaucoup pécher et beaucoup expier, vertu des grands siècles ! Le scrupule et le repentir sont la meilleure mesure de la vertu des temps. Au XVIIe siècle, le désordre ne cachait pas la règle. Quels oublis de Dieu, mais quels retours ! que d’austérités ! La fronde et Port-Royal, Louis XIV et Mme de La Vallière, la cour et les grands prédicateurs ! La loi du monde et la loi de Dieu luttent comme toujours ; mais la religion a partout le dernier mot, le mot qui par la pénitence condamne le siècle et absout l’homme.

En face de pareils témoignages, qui peut douter que le génie et le caractère français ne soient profondément religieux ? Je sais des gens qui disent : Oui, le génie et le caractère français ont été très religieux ; ils ne le sont plus : voilà l’explication.

J’ai bien des observations à faire sur ce point ; mais je veux d’abord examiner pourquoi, lorsque le génie français était profondément