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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/215

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vu de ces unions du parterre et des acteurs dans un même sentiment, ou plutôt dans une même passion ; mais la passion était violente et passagère. La circonstance faisait et défaisait ces alliances momentanées du théâtre et du parterre. La Marseillaise remplaçait brusquement Vive Henri quatre. Ce n’était pas là cette union régulière, ce ménage assidu, que le théâtre et le public du XVe siècle faisaient ensemble sans effort, sans violence, sans passion.

Dans la comédie grecque, où le public faisait corps aussi avec la théâtre, il y avait la parabase, espèce de harangue politique ou morale que le poète comique adressait en son nom aux spectateurs, et qui interrompait un instant la pièce pour transformer le théâtre en la place publique, sans que personne s’étonnât de voir ni qu’on interrompît la pièce pour haranguer le peuple, ni qu’après avoir harangué le peuple, on reprît tranquillement la pièce. Et je me demande un instant de quelle stupéfaction nous serions surpris, si au milieu d’une comédie de nos jours l’acteur, interrompant tout à coup l’action et son rôle, se mettait à haranguer les spectateurs sur les affaires publiques. Ce ne serait pas seulement le commissaire de police qui ôterait la parole à l’orateur malencontreux, ce serait le public tout entier, et l’art serait encore plus sévère que la police. La parabase antique ne choquait personne, ni la loi, ni l’art. Les mystères du moyen âge avaient aussi leur parabase, qui était un sermon qu’un des acteurs adressait à l’auditoire, tantôt au commencement, tantôt à la fin du mystère, et parfois même au milieu. Chacun prenait sa part du sermon, et le théâtre se trouvait ainsi pour un moment transformé en église sans que personne s’en étonnât, tant les spectacles de ce temps, par leurs sujets et par leurs acteurs, étaient mêlés à la vie religieuse du peuple.

À ces théâtres, qui étaient d’un si facile unisson avec le peuple, comparez nos théâtres : nous n’allons y chercher qu’une distraction et nous avons bien soin de n’y pas porter notre vie ; nous y portons seulement notre imagination ou notre ennui. Du reste, entre nous, la pièce et les acteurs, rien de commun. Acteurs, auteurs, spectateurs, chacun fait bande à part. Les acteurs sont des comédiens attitrés, hommes de grand talent et de grande étude, qui de leur profession ont fait un art, et non pas des hommes pris hier entre nous pour y rentrer demain. Les auteurs sont des hommes de lettres qui ont inventé un sujet de comédie ou de tragédie dans leur cabinet, et qui viennent l’exposer au public, dont il faut satisfaire la curiosité. Ce ne sont pas des dévots de paroisse qui prennent la vie du saint de leur église, que tout le monde connaît, et qu’ils veulent représenter par personnages, non pour plaire à la curiosité, mais pour toucher la foi par les yeux. Les spectateurs enfin ne sont pas