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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/220

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toujours des exemples étrangers, allez à Versailles, et dans une petite rue écartée voyez cette salle du jeu de paume, qui n’a pas depuis soixante ans un seul ornement, mais qui a tant de souvenirs : c’est là que des hommes honnêtes et forts, assemblés à l’improviste, se sont unis et confondus dans le serment de créer une société nouvelle, et ils l’ont créée. C’étaient des bourgeois.

Avec une pareille légende dans l’histoire, on peut se passer d’avoir un rang dans la poésie tragique, de même que les saints et les martyrs, avec les souvenirs de leur pieuse vie et de leur mort généreuse, peuvent se passer aussi de la place que la poésie dramatique leur a presque entièrement refusée depuis le XVIe siècle. Ils édifient les fidèles ; ils peuvent se dispenser d’amuser le public. J’ai dû seulement remarquer comment, par une conformité singulière de fortune et par des causes toutes différentes, les bourgeois et les saints, que je ne veux assurément pas comparer ensemble, se sont trouvés également exclus de la scène tragique : les uns, ce sont les saints, par cet ascendant de la vie privée qui règne au théâtre et qui n’admet pas volontiers les hommes qui oublient la vie de la terre pour la vie du ciel ; les autres, ce sont les bourgeois, par cette disposition qui nous porte à ne chercher et à ne trouver avec plaisir les aventures et les épreuves de la vie privée que dans les conditions élevées.

J’ai déjà indiqué quelques-unes des causes qui ont éloigné les sujets pieux de notre théâtre ; il en est une que je n’ai point encore signalée, et qui est propre au XVIIe siècle. Le XIVe et le XVe siècle n’hésitaient pas, dans leurs mystères et dans leurs moralités, à mettre en scène les dogmes chrétiens, la mort et la résurrection du Christ, ou le péché originel. Ces sujets étaient même les sujets consacrés et obligés. Le XVIIe siècle se défendait de ce genre de représentations comme d’un sacrilège. Ce n’est pas seulement Boileau qui nous dit que

De la foi d’un chrétien les mystères terribles
D’ornemens égayés ne sont pas susceptibles ;


l’auteur d’une poétique qui a eu de l’autorité au commencement du XVIIe siècle, M. de La Mesnardière, en 1639, loue la sagesse et la piété des poètes français, a qui s’abstiennent d’échafauder (mettre sur le théâtre) les mystères de la religion, comme font les étrangers. Et la piété qui les empêche d’employer des choses si vénérables parmi les divertissemens n’est pas une petite marque de la bonté de leurs âmes[1]. » Non-seulement La Mesnardière ne veut pas que

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