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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/268

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trine panthéistique de Çâkya-Mouni ont dit aussi : La vertu pour la vertu, n’est-ce pas un dogme sublime et l’idéal du désintéressement ? Le malheur de cette doctrine, c’est de faire de chaque homme un être isolé qui se retire dans la méditation comme dans une carapace, s’engourdit comme la marmotte sous la froide enveloppe de son égoïsme, et se fige comme la goutte de cire autour d’un flambeau éteint. Il faut que la vie soit un combat et non pas un sommeil ; il faut que le cœur de l’homme batte pour quelque chose, et qu’il s’échauffe aux rayons de l’amour divin.

En quoi consiste donc la généreuse affection de Çâkya-Mouni pour les créatures ? Elle consiste dans un sentiment profond de pitié et de sympathie pour tout ce qui souffre. On reconnaît que le réformateur est vivement affecté des maux qui accablent l’humanité. Voilà, pourquoi il exhorte les hommes à s’abstenir de tout ce qui peut troubler l’harmonie et la paix au dedans et au dehors. Il ne s’apercevait pas qu’en obéissant aux préceptes de cette charité négative, le cœur humain perd chaque jour de sa sensibilité et finit par s’émousser complètement. Son désir le plus ardent était sans nul doute d’arracher les esprits aux erreurs d’un polythéisme extravagant. Il semble avoir songé surtout à ces masses du peuple, à ces foules ignorantes obéissant aux préceptes brahmaniques par routine, sans réflexion, sans nul souci de la morale, passant de la folie des sens à la crainte puérile des idoles, flottant au hasard des impressions du moment. Habitué à sonder son propre cœur, il s’émeut de pitié pour les populations aveuglées qu’un rayon de vérité pourrait éclairer, et qu’une bonne parole amènerait peut-être à réfléchir et à raisonner. Rappelant sur la terre les imaginations fascinées par le merveilleux, il voulut les gouverner par les lois d’une affectueuse harmonie dans laquelle il faisait rentrer toutes les créatures, tout ce qui pense, tout ce qui vit, et même tout ce qui végète ! À force d’étendre ses sympathies sur les êtres de la création, il abaissa l’homme au niveau de la bête privée de raison, et en vint à ne plus voir dans ses semblables qu’une manifestation, de la vie plus parfaite, plus accomplie, dont il apercevait déjà le germe dans le plus chétif animalcule.

Sous les dehors d’une modération débonnaire, Çâkya-Mouni cachait, il faut le reconnaître, un système très hardi et même très dangereux. Il ne s’attaque point aux dieux, mais il n’admet pas les sacrifices du culte traditionnel ; il ne prie plus, il médite. La division des castes est respectée en principe, mais quelle signification a-t-elle désormais ? À quoi sert le prêtre quand il n’a plus d’autel, et le docteur de la loi quand les saintes écritures sont rejetées ? C’est donc politiquement que Çâkya-Mouni reconnaît la caste des brahmanes et celle dès rois : il y voit un fait historique, et rien de plus. À qui fait-il donc appel ? qui prétend-il attirer à sa doctrine ? On le