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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/279

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se nommèrent djinas, les vainqueurs, parce qu’ils se glorifiaient d’avoir triomphé de leurs passions. Sans rejeter complètement les dieux de la mythologie indienne, ils placent au-dessus des habitans des célestes demeures un pontife suprême, incarnation de la Divinité, décoré des titres pompeux de grand saint, grand mendiant, grand monarque. Fils de roi comme Çâkya, le grand saint se retira aussi dans la forêt pour y pratiquer de rudes austérités. Autour de lui se réunirent quelques, disciples, puis des religieux des deux sexes par milliers, et sa doctrine se répandit bientôt à travers l’Inde. Le vingt-quatrième et dernier pontife dans l’ordre des temps a été Mahâvîra (magnus vir), qui naquit, selon toute probabilité, dans la province du Béhar, et sur le compte duquel les sectaires racontent une foule d’histoires merveilleuses. Du reste, la doctrine des djinas n’est autre chose qu’un composé assez confus des idées indiennes proclamées avant eux. Ils croient que la nature existe par elle-même, et qu’un même esprit anime toute la création. Les actes religieux détruisent les souillures de l’homme, la vertu le purifie jusqu’à le rendre immortel ; l’irréligion et le vice détruisent l’humanité, et le pécheur renaît dans une condition inférieure. La nécessité d’une religion et la morale sont donc les bases du système des djinas ; quoi qu’en disent les brahmanes, ils ne sont ni plus ni moins athées que la plupart des autres sectaires de l’Inde. Déistes, en principe, puisqu’ils admettent les incarnations et douze sphères célestes, ils ont été conduits par le panthéisme à trop exalter la matière et à la confondre avec l’esprit divin. Les djinas sont, comme tous les Hindous, superstitieux, très enclins à croire aux puissances surnaturelles, scrupuleux dans les petites choses et spiritualistes d’instinct ; de plus, ils ont emprunté aux bouddhistes, dont ils sont les héritiers directs, un grand respect pour les idées de vertu.

Les religieux djinas se rencontrent de nos jours encore dans toutes les provinces de l’Inde, quoiqu’en assez petit nombre. Leurs livres, rédigés d’abord en sanskrit, puis traduits et commentés dans les dialectes modernes, n’offrent pas une exposition bien claire de la doctrine qu’ils professent ; c’est donc plutôt par les actes de leur vie journalière que l’on peut arriver à la connaître. Choisissons pour type de la secte un djogui de la presqu’île, retiré dans la forêt, près d’un étang ou d’un cours d’eau. Dès que les premières lueurs du soleil rougissent l’horizon, l’ascète se lève ; il secoue son vêtement et la natte sur laquelle il a dormi pour en faire sortir la poussière, puis va se plonger dans l’eau pour se laver. C’est là une purification des choses matérielles et du corps, à laquelle il ajoute la purification de l’esprit en invoquant les saints de la secte qui représentent la sagesse, la lumière de la foi religieuse, la conduite irré-