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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/294

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elle ne trouva plus, comme elle l’avait fait souvent, ces deux choses étrangères l’une à l’autre ; elle se souvint de la sœur Euphémie, elle me dit que l’affection que lui avait vouée cette sainte fille ressemblait à la mienne, qu’elle était sûre que sœur Euphémie m’aurait aimé, et mille divagations semblables, mille absurdités touchantes, mille divines folies ; mais aussi pas un retour sur sa pureté perdue, pas un regret, pas un remords. Je t’ai dit quelquefois que ses terreurs superstitieuses, ses doutes, ses repentirs, fruits de l’éducation qu’elle a reçue, la rendaient plus intéressante et lui prêtaient une grâce de plus. Ce soir-là, rien de pareil ; elle était tout entière à l’amour, à l’amour qui oublie tout le reste pour s’absorber en lui-même. Onze heures sonnèrent. La mère Morin fut généreuse, elle ne revint qu’à près de minuit. Sa voix nous réveilla de notre rêve, et quel réveil ! J’étais bien heureux pourtant en m’éloignant de cette maison. J’emportais au fond de mon cœur un sentiment de félicité infinie qui dure encore, et dont l’empreinte, comme je te le disais en commençant, ne s’effacera jamais. Je ris moi-même quand je songe à ces pures jouissances d’un amour heureux, mon esprit raille mon cœur. Que veux-tu ? Louise est ma maîtresse, mais je l’aime, oh ! je l’aime de toute mon âme !


30 décembre.

Le bouquet ! le bouquet ! Je l’avais déposé, en rentrant, sur une table dans l’antichambre. Un des domestiques l’a sans doute porté à ma mère le lendemain matin, et je n’en avais plus entendu parler, lorsque le soir au bal (je crois t’avoir parlé d’un bal à la sous-préfecture), en dansant avec la fille d’une amie de ma mère, un certain parfum me frappe, un parfum qui me rappelait de si douces émotions ! Je regarde, il n’y a pas à s’y méprendre : c’est bien notre cher bouquet que cette jeune personne tient à la main. « N’est-ce pas qu’il est beau, me dit-elle, et qu’il sent bon ? » Je crus qu’elle allait ajouter que c’était ma mère qui le lui avait donné ; mais non, elle se troubla, rougit et n’ajouta rien. Il n’y avait pas de quoi ; mais nos petites demoiselles de province ont de si singulières idées ! Celle-ci n’est cependant pas trop désagréable, et en cette circonstance elle dut à son bouquet de danser une seconde fois avec moi. Je ne tardai pas à m’en repentir. J’avais obéi, en l’invitant, à l’irrésistible attrait d’un souvenir enchanté. J’avais dansé avec le bouquet plutôt qu’avec la danseuse. Quand je l’eus reconduite à sa place et comme j’allais respirer un peu dans une galerie improvisée pour la fête, j’entendis une dame murmurer à l’oreille de sa voisine : « M. Francis est bien aimable ce soir pour Mlle D… — Mais il l’épouse, répondit l’autre ; c’est convenu entre les deux familles. »