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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/303

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quoique nous n’ayons rien à redouter, c’est pour moi un plaisir de plus d’avoir à la rassurer.

Nous avons déjeuné de bon appétit avec les restes du souper d’hier. Elle nous a fait du thé de sa mignonne main. T’ai-je dit qu’elle a une main adorable, longue, blanche, aristocratique, avec de jolis ongles roses ? À midi, elle a traversé le jardin et s’est dirigée vers une des issues, car nous en avons deux. J’étais à mon poste d’observation. Il était convenu que je sifflerais si j’apercevais quelque figure humaine. Personne n’a paru. Elle s’est échappée leste et furtive, et je l’ai suivie de l’œil en l’admirant et en lui jetant des baisers perdus. Et maintenant je suis seul et je t’écris ; non, je me trompe, en t’écrivant je suis encore avec elle.


8 avril.

Mon père m’a déclaré gravement ce soir qu’une affaire importante exigeait sa présence à Paris, et que, d’autres affaires ne lui permettant pas de s’absenter, il me priait de m’y rendre à sa place. Je fis un prodigieux effort pour ne pas lui sauter au cou. J’eus un silence de résignation qu’il approuva sans doute. Il ajouta qu’il fallait m’occuper le soir même de mes préparatifs, que je partirais le lendemain à midi, et que l’affaire en question me retiendrait au moins huit jours. Il m’a ensuite expliqué la chose, qui, dans ces huit jours, ne me prendra pas beaucoup plus de deux heures.

Tu es trop clairvoyant, mon brave Léon, pour n’avoir pas déjà deviné que le plaisir de te voir et de passer une semaine avec toi dans notre cher Paris, plaisir très vif pour mon cœur, ne saurait cependant motiver suffisamment l’excès de ma joie. Si tu t’es fait cette illusion, il est de mon devoir de la dissiper sans retard. Je ne t’arriverai pas seul, Louise m’accompagnera.

Je te vois ouvrir de grands yeux et solliciter une plus ample explication. Je n’ai rien à te refuser. Dès les premiers mots de mon père, le projet d’emmener Louise s’est présenté à mon esprit. Je l’aime trop, surtout depuis nos rendez-vous du pavillon, pour ne l’avoir point associée sur-le-champ au bonheur que je me promettais. La seule cause d’embarras était le peu de temps qui nous restait. Je courus chez elle, et lui fis brusquement ma proposition. Elle devint toute rouge, ses yeux brillèrent, et elle me remercia de ma bonne pensée ; mais de quel prétexte couvrir son départ ? Toute la ville le saurait. Elle devait aller travailler le lendemain dans une maison, chez une amie de ma mère. C’était impossible, de toute impossibilité. Je demeurais interdit, je n’avais point prévu d’objections, et, au lieu de me réjouir de mon départ, j’étais prêt en cet instant à m’en désoler. Fort heureusement la mère Morin vint à