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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/320

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mon amour pour elle serait sorti plus fort de cet éclaircissement. Au lieu de parler, elle s’est tue ; elle s’est abandonnée à toute la frénésie de ses soupçons jaloux, dont je ne pouvais deviner la source. Elle m’a rendu très malheureux… ah ! malheureux surtout de sentir amoindrie l’admiration que j’avais pour elle !

Depuis quelques jours, tout est très calme. Louise semble fatiguée des efforts qu’elle a faits pour se montrer ce qu’elle n’est pas. Je pense même qu’au fond elle en est un peu honteuse. Elle m’a confessé sous le sceau du secret qu’elle se repentait d’avoir suivi les conseils de sa mère, et elle m’a supplié en même temps de lui jurer que je ne me marierais jamais. « Je n’y songe nullement, lui ai-je répondu, et je n’y ai jamais songé ; mais je croirais manquer à ce que je dois à mon père en prenant un engagement pour l’avenir. » Elle a détourné la tête, elle a pleuré amèrement et en silence. Je l’ai consolée, je l’ai rassurée, je lui ai juré de l’aimer toujours. Alors elle a levé sur moi ses grands yeux humides… Que son regard était touchant ! qu’elle était belle d’humilité et d’espérance ! Ah ! Léon, j’avais tort de dire que je l’aime moins. Je l’aime autrement, voilà tout. Si mon amour est moins enthousiaste, il est peut-être plus tendre. Je la regarde comme une faible créature qui a besoin de protection, et je me sens plus fort et meilleur d’avoir à la protéger.


15 décembre.

Mes pressentimens me trompent rarement. Ce n’était point sans raison que j’éprouvais pour la mère de Louise cet éloignement insurmontable. Tu te rappelles les impudentes poursuites d’Édouard S…, ce Joconde de province si fat, si beau, si bête, qui passe si gracieusement de la brune à la blonde. Il n’avait pas renoncé, à ce qu’il paraît, au plaisir charmant de me supplanter dans le cœur de ma maîtresse. Les difficultés de l’entreprise ont même prêté à son désir une énergie, une ténacité, dont j’étais loin de le croire susceptible. N’ayant pas réussi auprès de la fille, il avait tourné ses batteries du côté de la mère, et il comptait bien arriver à son but par cette voie détournée. J’ignore de quel espoir il l’a bercée, s’il lui a promis, comme il le fait souvent, qu’il épouserait un jour sa fille, ce qui de sa part n’a jamais l’air trop invraisemblable, parce qu’étant sans parens, sans souci de l’opinion, il paraît capable de tout pour se satisfaire. J’ignore s’il a tenté la voie plus commode des cadeaux et des promesses d’argent. Toujours est-il que la mère Morin l’aime aujourd’hui autant qu’elle me déteste. Il y a trois mois qu’ils sont d’intelligence, et qu’elle fait chaque jour quelque nouvelle tentative en sa faveur. Louise, en revenant du pavillon, le retrouvait presque toujours causant avec sa mère. Alors ils avaient recours aux plus