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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/34

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Bretagne, et le détroit de Dampier, qui sépare la Nouvelle-Bretagne de la Nouvelle-Guinée.

J’ai déjà dit l’antagonisme qui, depuis le commencement de l’expédition, s’était manifesté sur nos corvettes entre l’histoire naturelle et l’hydrographie. Tout semblait conspirer en faveur de cette dernière science, — les circonstances, dont personne n’est le maître, et la sympathie, dont chacun dispose à son gré. On ne doit point s’étonner que des hommes qui voyaient si souvent leur vie mise en péril par l’imperfection des cartes dont ils avaient à constater tous les jours les lacunes ou les erreurs assignassent instinctivement le premier rang aux travaux qui pouvaient agrandir le domaine et assurer la sécurité de la navigation. L’histoire naturelle se plaignait que cette prédilection fût poussée jusqu’à l’injustice ; elle contemplait avec désespoir les rivages que nous côtoyions sans cesse, et auxquels nous n’abordions jamais. Ces rivages qui lui faisaient éprouver le supplice de Tantale, c’était précisément le meilleur butin de l’hydrographie. Écueils, rochers, hauts-fonds, barrières infranchissables, rivages inaccessibles ou baies profondes et sûres, quoi qu’on pût rencontrer, du moment qu’on sortait des sentiers depuis longtemps battus, l’hydrographie était assurée d’y trouver son compte. Elle consignait sur ses cartes, avec le même soin religieux et le même enthousiasme, le brisant qu’elle était fière de signaler à la vigilance du marin et le port où elle l’invitait à entrer. À la voir grossir ainsi d’heure en heure son trésor, il était évident qu’elle aurait tout l’honneur et ferait toute la gloire de notre expédition. De tous côtés lui venaient de zélés auxiliaires, attirés par la sûreté et la simplicité de ses méthodes : l’histoire naturelle ne rencontrait au contraire que des indifférens qu’elle fatiguait de ses réclamations, ou des avares qui ne lui pardonnaient pas de convoiter leurs richesses.

Les naturalistes se plaignaient souvent, et, s’ils n’avaient pas toujours raison, ils n’avaient pas non plus, il faut en convenir, toujours tort de se plaindre. M. de Mauvoisis surtout était devenu pour eux un objet d’horreur : il s’était refusé à laisser convertir en musée et en laboratoire le logement dans lequel les officiers prenaient leurs repas. Un beau jour, les herbiers et les squelettes d’opossum ou de kanguroo avaient dû évacuer la grande chambre de la Truite. La Durance avait naturellement trouvé convenable de suivre l’exemple de la corvette amirale. Là pourtant ne s’était pas bornée la persécution. Les coquillages, traqués dans leurs retraites, ne pouvaient plus pourrir en paix[1] ; les poissons ne savaient plus où

  1. Pour purger les coquilles qu’on voulait conserver de l’animal qui s’y trouve renfermé, on les plaçait dans un seau rempli de sable, et on les laissait enfouies jusqu’au moment où l’on jugeait la décomposition de l’animal assez avancée. Je laisse à penser les parfums que dégageaient tous ces podridorios, car, je dois l’avouer, l’ardeur des collections était telle que chacun avait le sien.