Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les uns et les autres, un grand combat se prépare ; pourquoi donc s’attaquer à des alliés à des hommes placés du même côté que vous sur le champ de bataille, et qui, comme vous, ont la croix pour enseigne ? La prudence du monde, la charité chrétienne, la vérité historique, tout vous défend de méconnaître le catholicisme, de le repousser avec des armes déloyales, de l’accabler sous des reproches immérités… »

D’où venait l’homme qui tenait ce langage si libéral et si élevé en présence du clergé suédois ? A quels maîtres devait-il des inspirations si hautes ? M. Anders Fryxell est un des historiens les plus populaires de la Suède ; couronné, jeune encore, pour des travaux philosophiques, investi de fonctions importantes dans l’université et dans l’église, membre de l’académie de Stockholm et de l’académie de Copenhague, il appartenait à ce groupe d’esprits d’élite qui s’efforçaient de continuer dans le Nord le mouvement inauguré en Allemagne par Klopstock et Lessing. Lorsque M. Fryxell prononça ce discours, il y avait déjà vingt-quatre ans qu’il s’était rendu célèbre par ses travaux d’histoire[1] ; ses débuts littéraires remontent à 1823. C’était l’époque où le Danemark et la Suède s’instruisaient à l’école de l’Allemagne. Dans une espèce de journal de sa vie[2], Geijer nous raconte que depuis bien des années les ouvrages de Kant, de Fichte de Schilling, n’ont pas quitté sa table, et que Goethe a exercé une influence décisive sur sa pensée. « Il n’y a pas un homme, dit-il, qui m’ait enseigné plus de choses. » On a de lui un recueil littéraire où il fait connaître à son pays les principaux, représentant de la pensée allemande. Le poète dramatique Bernhard de Beskow, dans ses Souvenirs de Voyage, le médecin Magnus de Pontin dans ses Remarques sur la Nature, l’Art et la Science en Allemagne, étudiaient aussi avec une sympathie intelligente le travail de l’esprit germanique. Fryxell était un des plus laborieux champions de ce mouvement d’idées, ouvert d’une manière si brillante par Adam OEhlenschlaeger : si ses œuvres de philologie et d’histoire n’attestaient pas ce qu’il doit aux continuateurs de Lessing, ses Souvenirs d’un voyage en Allemagne nous livreraient sur ce point le secret de sa pensée. L’impartialité de la science, le libéralisme inspiré par l’étude, voilà ce que Fryxell empruntait à l’Allemagne ; il y ajoutait de son propre fonds une inspiration vraiment évangélique, le mépris du fanatisme, l’horreur de l’esprit de secte, le sentiment très vif de la solidarité qui unit, bon gré mal gré, toutes les communions chrétiennes.

Hélas ! l’orateur de la conférence de Carlstad n’a guère réussi dans la mission qu’il s’est donnée ; l’évêque devant lequel il prononçait en 1847 le généreux manifeste dont je viens de parler est précisément cet évêque de Westeras, M. Fahlcranz, qui a si : violemment attaqué la liberté religieuse à la diète de Stockholm. Il est impossible de ne pas faire de douloureuses

  1. Il les poursuit encore aujourd’hui ; le vingt-quatrième volume de ses Récits de l’histoire suédoise a paru récemment : c’est le tableau du règne de Charles XII.
  2. Minnen, utdrag ur bref-och dagboeker, Upsal 1834-35,