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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/414

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miel. Nos frères de Ï’Océanie n’arrivaient pas d’ailleurs les mains vides : les uns apportaient un cochon, d’autres des fruits de l’arbre à pain, des bananes, des ignames ou des cocos ; mais on savait que Cook et Lapérouse avaient réservé les plus beaux présens, les habits de drap rouge et les haches, pour les chefs. Aussi, dans le premier moment de désordre, chacun essayait-il de se faire passer pour chef. Il fallait voir l’air d’importance que de très petits personnages savaient se donner. Quelques-uns même à ce jeu trouvaient des complices. Les coups de massue qu’ils faisaient mine de distribuer à droite et à gauche et l’humilité avec laquelle leurs compagnons semblaient se soumettre à ces mauvais traitemens auraient pu nous faire illusion. Nous avions heureusement pour nous l’expérience de Cook, et nous n’ignorions pas que les véritables chefs envoyaient toujours des subalternes en avant pour tâter le terrain. Certains d’être mieux renseignés le lendemain et ne voulant point cependant courir le risque de méconnaître quelque egui au milieu de cette bruyante cohue, nous prîmes le parti de n’accorder à nos hôtes que des faveurs purement honorifiques. Tout individu qui se donnait pour chef avait immédiatement droit à une distinction qui paraissait du reste fort ambitionnée. Le barbier de la corvette se mettait en devoir de lui faire la barbe. Il y aurait eu toutefois bien des gens désappointés, si nos marins ne s’étaient empressés à l’envi de venir en aide au frater. Au bout de deux ou trois heures, toute l’aristocratie avait le menton net, sans compter quelques pauvres hères qui réussirent à surprendre une faveur qui ne leur était pas destinée. La nuit survint, et un indigène, qu’à ses coups de massue énergiquement appliqués nous reconnûmes pour un véritable chef, s’offrit à nous délivrer de nos visiteurs. La corvette fut évacuée en un instant. Les sauvages se jetèrent dans leurs pirogues, ou gagnèrent la terre à la nage, emportant néanmoins, au milieu de cette déroute, tous les objets qu’ils parvinrent à saisir.

Les insulaires de l’Océanie n’ont qu’une notion confuse des droits de la propriété. Chez eux, comme chez les Spartiates, le vol est un tour d’adresse. Ils n’exercent d’ailleurs leur dextérité qu’au détriment des étrangers. Leur hospitalité insouciante et prodigue touché de si près à la communauté des biens, que se voler entre eux serait peine inutile. « La terre n’est à personne, et les fruits de la terre appartiennent à tout le monde ; » c’est une maxime que leur ont dérobée les sophistes. L’application qu’ils en font les exposerait souvent à mourir de faim, si le tabou ne venait mettre de temps en temps les récoltes sous la garantie d’une interdiction sacrée. Il ne faut pas croire cependant que les populations de Ï’Océanie ignorassent le joug des lois et l’empire du privilège. Les premiers navigateurs ont