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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/422

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traditions dans ces rapsodies monotones que nous écoutions sans les comprendre. Le temps de consulter ces annales populaires est malheureusement passé aujourd’hui. La première moitié du XIXe siècle a rendu la Polynésie presque étrangère à sa propre histoire, et ce n’est pas aux convertis d’un nouveau culte qu’il faut demander le secret des anciennes chroniques.

Ce ballet guerrier, qui ne consistait d’abord qu’en un balancement pareil à celui d’une pirogue sur les vagues, parut insensiblement s’animer. Les rangs se mêlèrent, les passes devinrent compliquées et rapides ; à une lente psalmodie succédèrent des accens plus vifs. Le débarquement était probablement opéré, la mêlée s’engageait ; mais bientôt les femmes se levèrent : tenant à la main une branche garnie d’un vert feuillage, elles tendirent ce symbole de paix aux danseurs. La danse me parut alors changer de caractère ; les chants prirent un accent plus tendre. La victoire était gagnée, et les femmes, enlacées aux bras des guerriers, les félicitaient de leur courage. La fête se termina par un défilé général. Chaque insulaire portait une longue gaule sur ses épaules. À l’extrémité de ce bâton étaient suspendus, non-seulement des fruits de toute espèce, mais aussi des poissons et des volailles. Tous ces objets entassés pêle-mêle formèrent des piles de trois ou quatre mètres de hauteur qui nous étaient destinées. On joignit à ce présent toutes les pièces d’étoffes sur lesquelles nous avions marché, ainsi que toutes les nattes sur lesquelles nous nous étions assis. Cette cérémonie terminée, l’amiral prit congé de la reine, et les deux grands chefs se séparèrent enchantés de leur mutuelle courtoisie.

Si l’autorité de Tineï-Takala n’eût point rencontré dans l’île un parti assez indifférent à ses ordres, nous n’eussions quitté l’archipel des Amis qu’avec d’agréables souvenirs ; mais nous avions pu remarquer qu’il régnait une sorte d’anarchie à Tonga-Tabou. On ne soutient pas une lutte perpétuelle contre des ennemis barbares sans contracter quelque chose de leur férocité. Après s’être longtemps bornés à repousser les incursions de leurs voisins, les habitans des Tongas avaient à leur tour porté la guerre sur le territoire des Vitis. Ils étaient revenus vainqueurs, mais le succès devait leur être funeste. À dater de ce moment, le peuple des Tongas fut un autre peuple. L’habitude de l’obéissance passive aux moindres volontés du souverain fit place à une sourde fermentation ; la douceur innée des mœurs dut céder aux exigences d’un point d’honneur sauvage. On vit se former à Tonga-Tabou une école nouvelle de chevalerie. Les jeunes guerriers qui faisaient profession d’appartenir à cette école ne marchaient jamais sans javeline et sans massue. Fiers des cicatrices qui paraient leurs poitrines, ils se vantaient de dévorer