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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/430

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survécu au désastre s’étaient hâtés de construire, à l’aide des débris d’une des deux corvettes, un fragile esquif sur lequel ils avaient quitté l’île : courageuse tentative qui ne devait aboutir qu’à un nouveau naufrage ! C’eût été le lieu où était venue se briser cette épave qu’il eût fallu découvrir pour rendre à la France quelques-uns des enfans dont elle attendait avec anxiété le retour. Plus de soixante années de recherches n’ont point éclairci ce nouveau problème.

Notre campagne se poursuivait cependant au milieu de difficultés sans cesse croissantes. Nous visitâmes vainement la côte méridionale des îles Salomon, nous pénétrâmes au cœur de ce dangereux labyrinthe que forme, à l’extrémité de la Nouvelle-Guinée, l’archipel de la Louisiade, et qui s’étend du cap de la Délivrance, découvert par Bougainville, au cap du Roi-Guillaume, découvert par Dampier, labyrinthe où nul ne s’était aventuré avant nous, où nul ne nous a suivis et ne nous suivra peut-être jamais. Nous explorâmes ainsi près de deux cents lieues de récifs. Que de fois, entraînés par la brise ou dominés par de violens courans, il nous fallut nous engager dans des canaux douteux, franchir des hauts-fonds qu’effleurait notre quille, ou chercher à tout hasard une issue entre deux brisans ! Nos corvettes rasaient de si près la côte, que la brise, en soufflant de terre, apportait jusqu’à bord les parfums les plus suaves. De chaque baie que nous traversions, nous voyions se détacher de nombreuses pirogues dont quelques-unes portaient jusqu’à vingt rameurs. Ces embarcations, se tenant toujours à distance, nous entouraient comme un essaim, non d’abeilles, mais de guêpes, car il était rare que les sauvages qui les montaient ne nous envoyassent pas comme adieux, après quelques insignifians échanges, une volée de leurs flèches ou une décharge de leurs frondes. Un de nos marins atteint d’une de ces flèches, sans doute empoisonnée, mourut, dans la nuit même, du tétanos. Quelquefois nous ripostions par un coup de fusil qui mettait en fuite tous ces misérables assaillans. Le plus souvent nous poursuivions notre route, dédaigneux de pareilles attaques, et gémissant de ne pouvoir rencontrer sur aucun point des êtres qui nous parussent dignes du nom d’hommes.

Les pluies abondantes qui nous avaient assaillis depuis notre atterrage sur les îles Salomon avaient répandu à bord de nos bâtimens une humidité qui seule eût suffi pour disposer les équipages au scorbut. Une relâche était devenue indispensable, mais il fallait que cette relâche eût lieu dans un pays qui nous offrît quelques ressources pour réparer nos forces épuisées, et qui nous permît aussi de renouveler nos vivres de campagne. Des cocos, des ignames et des bananes pouvaient bien apporter quelque soulagement à nos misères : ce n’étaient pas là les provisions qui pouvaient nous permettre de continuer notre voyage et d’accomplir de longues traversées.