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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/450

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pouvait même, comme on vient de le voir, lui exposer librement. On a vu que des causes bien diverses expliquaient à la fois et cette patience endurante et l’attitude résolue qui lui a enfin succédé. D’abord, et avant tout, il faut tenir compte de la situation si grave où s’est trouvée l’Europe pendant les années qui ont suivi la secousse générale de 1848. Il ne faut oublier ni l’importance des relations commerciales de l’Angleterre avec la Chine, ni les progrès de l’insurrection Taï-ping[1], et les espérances secrètes qui s’y rattachaient. Il faut reconnaître aussi la conduite habile du gouverneur-général Yeh aux prises avec l’insurrection. Dès 1856, la plupart de ces considérations ne pouvaient plus retenir l’Angleterre, et de nouvelles et sérieuses complications avaient surgi, rendant nécessaire, au lieu de cette temporisation, une action directe au centre même de l’empire sur l’esprit des conseillers impériaux et une révision complète des traités sur lesquels étaient fondées les relations de l’Europe avec la Chine, traités inexécutés en partie, et dont les stipulations incomplètes, temporaires d’ailleurs, ne répondaient plus, n’avaient jamais répondu aux besoins, aux nécessités de la situation respective des deux parties en présence.


II

Quelque temps avant sa mort, l’empereur Tao-kwang, jetant un douloureux regard sur le vaste empire qu’il avait gouverné pendant un quart de siècle, laissait tomber des paroles dont la publicité s’est emparée : il semblait, triste prophète, annoncer la fin de son illustre dynastie. « La prospérité est toujours suivie de décadence, s’écriait-il ; après les jours glorieux de Kang-hi et de Kien-lung, la décadence approche pour notre empire. » Le règne du successeur de Tao-kwang a justifié ces prédictions. Le vaste ensemble que les fondateurs de la dynastie des Tsing avaient réuni sous leur domination, cet empire qui, des frontières du Thibet et du Kokonor, s’étendait jusqu’aux rivages extrêmes de la Mandchourie, et dont les populations énervées semblaient avoir repris une nouvelle énergie au contact des races tartares, croule maintenant de toutes parts : il s’affaisse sous son propre poids, ou sous la pression de ces barbares étrangers si longtemps dédaignés, contenus dans d’étroites limites, et qui semblent accourir de tous les points de l’horizon pour venger d’anciennes injures, pour se partager les dépouilles du colosse expirant.

Certes les annales de la Chine nous montrent une série de révolutions

  1. Voyez encore, sur l’insurrection chinoise et sur le chef des insurgés, la Revue du 1er juin 1857. La dynastie nouvelle a pris le nom de Taï-ping, qui signifie souverain pacificateur. Le chef de la dynastie s’appelle le Tai-ping- wang, littéralement le prince souverain pacificateur.