Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la punition de sa faute. Cette punition, son père et son frère, plus âgé, viennent la subir à sa place. Que la justice du juge soit clémente !

Désireux de voir dans toutes ses formalités l’exécution de la justice coréenne, sûrs d’ailleurs d’en arrêter le cours à notre gré, nous faisons taire la compassion que nous inspirent ce vieillard suppliant et cet enfant, prêts tous deux à expier la faute d’un autre. « Le vol est un crime honteux, sévèrement puni en France, » dit l’un de nous. « En Corée aussi, » répond le mandarin, et bientôt, au milieu du silence le plus profond, la sentence est rendue. Le fils est garrotté, jeté à terre, tandis que le père, armé d’une sorte de planche en forme de rame et sur laquelle sont inscrits le titre, le rang et le nom du juge, se dispose à en asséner un coup sur la tête du jeune homme. Au refrain d’un chant lent et monotone que répète la foule, la planche s’abaisse et vient frapper le patient, qui se tord sous le coup. Quelques secondes se passent, le chant recommence, la punition continue ; mais la tendresse du père a désarmé son bras, et la planche retombe sans force. D’un geste, le mandarin s’adresse à ses licteurs ; le malheureux père tombe à côté de son fils. Un véritable bourreau a pris sa place, déjà son bras est levé ; mais, incapables de prolonger plus longtemps cette cruelle étude, nous intervenons, demandant grâce pour les coupables, ou plutôt pour ces malheureux, grâce qui ne nous est accordée qu’après quelques minutes d’insistance de notre part, d’hésitation de la part du juge.

Quand bourreaux, licteurs, patiens se furent retirés, le mandarin offrit à ses hôtes le saki[1] et le uwo[2], gages de cordiale réception en Corée comme au Japon ; il s’efforça, par ses gracieuses prévenances, de détruire l’impression fâcheuse qu’avait dû produire dans notre esprit le vol de son domestique, et lorsque nous témoignâmes le désir de nous retirer, dix porteurs de torches passèrent devant nous, éclairant la route. Lui-même voulut nous accompagner jusqu’au bout du village.

Le gouvernement dont la politique forme un si singulier contraste avec les dispositions de son peuple et de ses propres agens, — ce gouvernement porte en lui un germe de faiblesse et de ruine qui explique trop bien son attitude défiante et timide vis-à-vis des étrangers. L’organisation sociale et politique de la Corée diffère essentiellement de celle du Céleste-Empire ; par mille liens, par celui de la conquête peut-être, elle se rattache à celle du Japon. Un roi confiné dans son palais, ignorant et abruti par les plaisirs ; une aristocratie

  1. Eau-de-vie de riz.
  2. Poisson salé.