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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/513

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puisque trois mois plus tard le même envoyé revint à Batavia renouveler sa sommation. Cette seconde démarche de la colonie française ne fut pas ignorée de M. de Mauvoisis. Il s’en alarma, et, pour en prévenir les suites, il jugea à propos de se rendre à Samarang, dont le gouverneur était d’un rang plus élevé que le gouverneur de Sourabaya. J’ignore quelle réception lui fut faite ; mais bientôt nous apprîmes qu’il était mort trois jours après son arrivée à Samarang. Le bruit courut alors parmi nous qu’il s’était empoisonné. Je n’oserais affirmer le contraire. Cependant il est plus naturel de croire qu’un homme qui depuis fort longtemps était sous l’influence d’une maladie nerveuse n’avait pu résister aux contrariétés multipliées et aux inquiétudes inséparables du commandement de notre expédition. M. de Mauvoisis mourut du poison qui nous avait déjà ravi M. de Terrasson et M. de Bretigny. En lui périt un de ces cadets de famille dont la révolution a éteint la race en France, race, ambitieuse et entreprenante qui, fière de sa noblesse, impatiente de sa pauvreté, cherchait dans les aventures ou dans les intrigues une fortune digne de son blason. C’était véritablement à cette époque la sève du corps social : le moindre rayon de soleil la mettait en mouvement. Hardis et avisés comme les fils de Tancrède de Hauteville, ces gentilshommes, qui n’avaient que la cape et l’épée, ont fondé nos colonies, peuplé les rangs de notre marine et rempli les pages de notre histoire du récit de leurs prouesses. Ils étaient à l’occasion héros ou flibustiers, courtisans ou révolutionnaires, mais toujours chevaliers, gardant jusque dans leurs écarts un certain vernis d’élégance, dans leurs vices un certain point d’honneur, — sans scrupules souvent, mais jamais sans orgueil. Certes on ne peut se plaindre que l’ambition manque à notre société : elle était autrefois confinée dans les rangs de la classe nobiliaire, elle est aujourd’hui partout ; seulement elle n’a plus le même cachet, et l’on serait quelquefois tenté de la trouver trop facile à satisfaire. De chétifs avantages lui suffisent : il lui faut une ornière, elle ne se soucie plus des aventures.

La mort de M. de Mauvoisis plaça M. de Vernon à la tête de l’expédition. L’ancienneté de cet officier, alors lieutenant de vaisseau, le désignait naturellement pour un poste où il était regrettable qu’il n’eût pas remplacé plus tôt les chefs dont il rappelait si bien la sagesse et la bienveillance. S’il eût succédé directement à M. de Bretigny, ou s’il eût pu conserver le commandement qu’il avait pris à l’île Waygiou, quand la situation de M. de Mauvoisis semblait désespérée, l’issue de notre campagne eût été bien différente. Nous eussions ramené en France les débris de notre expédition au moment où les journées de thermidor venaient de rendre l’espoir à tous les honnêtes gens.