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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/532

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avec ses deux filles et une de ses nièces prendre des bains de mer à l’embouchure du Shannon. Nous eûmes plus d’une fois l’occasion de le voir, et il nous fit promettre d’aller passer quelques jours chez lui. La charmante gaieté de ses filles et de sa nièce, les plus aimables personnes que j’aie rencontrées de ma vie, rendait cette invitation trop séduisante pour que nous pussions hésiter à l’accepter ; nous étions déjà de vieux amis pour cette excellente famille. En notre honneur, on invita les personnes les plus considérables des environs. Une société nombreuse se trouva réunie au château. Chaque jour, de nouveaux projets préparaient les plaisirs du lendemain. La chasse à courre était, suivant la mode anglaise, le plaisir favori. Nous forcions non des cerfs, mais des lièvres. Notre meute se composait d’environ soixante chiens de toute espèce, parmi lesquels on pouvait compter un bon nombre de roquets. En arrivant sur le terrain, les chiens à peine découplés se mettaient à quêter, les chevaux trépignaient sur les bruyères. Bien souvent le lièvre ne sortait pas du cercle que les chiens formaient autour de lui. Un seul coup de dent du plus mince roquet le couchait par terre. Lorsqu’il échappait à ce premier danger, les lévriers s’élançaient sur sa trace, et les chevaux suivaient en franchissant murs, haies ou fossés. La première fois que je me trouvai en présence d’un pareil obstacle, je montais un cheval très vigoureux qui avait plus que moi l’habitude de ce genre d’exercice. J’avais depuis longtemps renoncé à contenir son ardeur ; mais, voyant un mur devant moi, je m’imaginais bien qu’il n’irait pas plus loin. À ma grande surprise, il sauta pardessus avec une facilité étonnante. Ce mouvement, auquel je ne m’attendais guère, me fit successivement glisser du cou à la croupe de l’animal. J’avais heureusement le poignet solide. Je me cramponnai si bien à la selle et à la crinière de ma bête, que je fournis sans encombre une immense carrière, au bout de laquelle je reçus les complimens de tous les chasseurs. Quinze jours se passèrent au milieu de ces brillantes parties de chasse ; j’avais presque oublié le Main-Ship, si je n’avais même un peu oublié la France. Le moment arriva cependant où il fallut nous décider à prendre congé de nos hôtes. La destinée du marin est un peu celle d’Ahasvérus, il faut qu’il marche, lorsqu’il éprouverait tant de bonheur à s’arrêter.

Pendant notre absence, la flotte s’était considérablement accrue. Les bâtimens qui avaient échappé à la division anglaise sous Sainte-Hélène avaient tous été capturés sur les côtes d’Europe. Le brick même sur lequel M. de Vernon et son compagnon avaient dû s’embarquer après avoir manqué le départ de l’Hougly avait eu le sort commun. Plusieurs frégates anglaises destinées à protéger la flotte pendant son passage se trouvaient aussi mouillées à l’embouchure