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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/534

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très modeste. La saison était tellement pluvieuse, — nous étions au cœur de l’hiver, — que je sortais très rarement. Je me tenais d’ordinaire dans le salon de réception, qui était toujours bien chauffé par un grand feu de charbon de terre. Je rencontrais là un Anglais et un Allemand qui parlaient tous les deux avec facilité le français. Ils me racontaient ce qui s’était passé et ce qui se passait encore en France. Leurs récits portaient l’empreinte d’une exagération évidente et m’arrachaient souvent des reparties assez vives. Je les accusais hautement de calomnier mes compatriotes sans soupçonner, dans ma simplicité, qu’on pût me faire un crime de cette véhémence. Je venais enfin, après trois mois d’attente, d’obtenir le passeport que je sollicitais pour me rendre en France. Il ne me manquait plus qu’une signature, et toutes les formalités allaient se trouver remplies. J’employai le reste du jour à faire des courses, et je rentrai à l’auberge crotté jusqu’aux épaules. Je m’étais approché du feu, et, tout en me séchant, je me plaignais avec expansion du climat et de cette ville de Londres où, grâce au macadam, on ne pouvait faire un pas sans se couvrir de boue. L’Anglais avec lequel il m’était arrivé, quelquefois de converser crut devoir se montrer offensé de mes discours, et m’adressa des injures grossières auxquelles je m’abstins prudemment de répondre. Il advint alors ce qui arrive toujours en pareil cas. Mon silence fut un encouragement à de nouvelles attaques. La patience finit par m’abandonner, et je fus obligé de mettre mon interlocuteur à la porte. Ce gentleman me parut un homme fort mal élevé et d’humeur bien maussade : j’étais fort éloigné de me douter que j’avais affaire à un agent de police.

Une demi-heure environ après cette scène entra dans le salon un gros monsieur qui vint directement à moi et me demanda mon passeport. Après l’avoir soigneusement examiné, il me fit observer qu’il manquait à cette pièce une signature. Je lui répondis sans m’émouvoir que je devais précisément le lendemain, dès que les bureaux seraient ouverts, me rendre à Somerset-House pour faire revêtir mon passeport de cette dernière formalité. Very well ! me dit-il en me rendant le papier qu’il tenait à la main. Sur ces entrefaites arrivèrent le chef de timonerie de la Truite et son frère, accompagnés d’un prétendu secrétaire du transport office. Celui-là, j’ai retenu son nom : il s’appelait M. Adam. Il nous pria de lui confier nos trois passeports, afin qu’il pût faire inscrire nos noms pour le départ du prochain paquebot. Quel fut mon étonnement quand cet agent officieux revint avec deux passeports seulement, m’annonçant que le mien ne pourrait m’être remis que lorsque j’aurais comparu devant le lord-maire ! Jusque-là, me dit-il, j’étais confié à sa surveillance.