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s’étonnait pas que les chagrins, hélas! trop profondément gravés sur le front de son vieux compagnon, n’eussent pu résister à sa douce influence, et qu’un sourire tout plein de fierté paternelle vînt par intervalles illuminer ses traits flétris.

Le couple marchait au petit pas, s’arrêtant à chaque instant, trop heureux de trouver le prétexte d’allonger un innocent tête-à-tête, la jeune fille pour contempler une fleur, un point de vue, le vieillard pour couver de l’œil son plus cher trésor.

— Laissez-moi vous fleurir, bon grand-père, dit Anna en s’élançant avec l’instinct d’un papillon vers un petit coin de gazon que la nature avait semé de fleurs. En un instant, elle eut composé un petit bouquet de pâquerettes et de marguerites moins fraîches et moins innocentes qu’elle, et vint l’attacher à la boutonnière de son aïeul, qui, avec une grâce respectueuse digne d’un seigneur de la cour de Louis XV, déposa un baiser sur la jolie main dont il tenait ce naïf tribut d’hommages.

— Oh ! non pas la main, les deux joues, reprit Anna, qui, se dressant sur la pointe des pieds, éleva son frais visage jusqu’à la hauteur du menton de son vieux compagnon.

Le baron contempla un instant ces traits charmans, un bonheur divin rayonnait dans ses yeux; puis il déposa sur le front de sa petite-fille le baiser chaste et religieux qu’il eût déposé sur le front d’un ange gardien descendu sur terre pour adoucir les amertumes de sa vie mondaine.

— mon cher grand-père, que vous êtes bon de me témoigner tant d’affection ! — Et ce fut au tour de la jeune fille de porter à ses lèvres la main du vieillard.

— Je t’aimais tant sans te connaître, ma douce Anna! et maintenant que je te connais, je crains de ne pas t’aimer autant que tu le mérites.

— Oh! combien cela me rend heureuse et fière, trop fière peut-être, de vous entendre parler ainsi ! reprit la jeune fille. Oh! moi aussi, il y a longtemps que je vous aime : ma mère, ma pauvre mère m’a appris tout enfant à révérer votre nom, et ses dernières paroles ont été pour me rappeler mes devoirs envers vous. Avoir été si longtemps sans affection, seule au monde, et retrouver la tendresse d’un père, c’est là une de ces joies qui marquent dans la vie, sans que rien puisse en effacer le souvenir.

— Anna, ma chère fille, dit le baron, tu te feras belle pour ce soir; je veux que mes voisins m’envient mon enfant, que tu plaises à tous.

— Que je plaise à vous, à vous seul, n’est-ce point assez? repartit Anna avec une apparente sincérité.