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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/580

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tions les plus diverses se peignaient sur leurs traits. Cassius, le visage empourpré, poursuivait Jove de toutes les injures que son vocabulaire anglais pouvait lui fournir. Marmande, l’air narquois, faisait observer à son hôte que son setter n’était pas très steady, tandis que Laverdure et le baron, les mains levées au ciel, semblaient appeler ses foudres sur la tête du coupable. Quant à Kervey, tout entier à d’autres pensées, il regardait d’un œil indifférent les méfaits de Jove.

— Mais cet animal est enragé, dit le baron.

— Quand on a un chien pareil, on le met à la broche, dit Laverdure.

— De ce train-là, nous ne tuerons pas une pièce, murmura le comte, qui, s’il n’était pas fâché de mettre en lumière les ridicules de M. Cassius, préférait cependant à ce plaisir le plaisir de la chasse. Aussi, s’approchant de son compagnon, Marmande lui dit : — Je vois la chose, votre setter est habitué à chasser seul ; la présence des autres chiens le rend mad.

Mad, mad, répéta Cassius sans bien comprendre comment la société de ses semblables pouvait exercer sur Jove l’influence que la romance populaire attribue au vent de la montagne sur l’homme à la carabine.

— Eh bien ! poursuivit le comte, ne le contrarions pas: chassez de votre côté… Vous savez où est notre rendez-vous. Le char-à-bancs nous attendra à cinq heures au moulin des Étangs.

Par un hasard providentiel, Jove s’était mis à la poursuite d’un lièvre dans une direction opposée à celle des chasseurs. Cassius accepta donc sans commentaires la proposition de son hôte, et suivit au pas gymnastique les traces de son quadrupède.

Nous n’accompagnerons pas les chasseurs dans leur course errante ; il nous suffira de dire que vers la fin de la journée la compagnie, à l’exception de Cassius, se trouvait réunie au moulin des Étangs. L’aspect du rendez-vous de chasse était des plus pittoresques. Les bâtimens du moulin, constructions de briques entretenues avec un soin que l’on rencontre rarement dans les exploitations rurales, s’élevaient aux bords de la nappe d’eau. Un gazon planté d’arbres, dont le voisinage de l’étang rafraîchissait la verdure, avait offert aux chasseurs une couche moelleuse que le comte et M. de Laluzerte n’avaient pas dédaignée. Tous deux étendus sur l’herbe fraîche, ils contemplaient le bleu du ciel avec la sécurité de gens qui n’ont pas perdu leur journée. Classiquement assis au pied d’un hêtre, M. Desbois, le nez enfoui dans son code civil, semblait faire amende honorable pour une journée passée au milieu de plaisirs indignes d’un homme grave. À quelques pas du magistrat, Kervey, un cigare à la bouche, suivait d’un œil distrait les nuages de fumée qu’exhalaient ses lèvres. Des pyramides de lièvres et de per-