Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il vivra, le médecin répond de ses jours; mais à quel prix, grand Dieu ! Cette nuit, je viens de le voir pour la dernière fois... Il dormait. Sa figure, pâle et mutilée, était entourée de sanglans bandages. Oh! mon amie, si la douleur pouvait briser le cœur de l’homme, le mien eût éclaté en ce moment. Je voyais devant moi l’ami de mon enfance, le frère de mes jeunes années condamné, par ma criminelle imprudence, à une vie d’éternelles souffrances! Dieu lui avait tout donné en partage, beauté, richesse, noble cœur, santé, et ma main, ma main fatale a détruit tous ces dons de la Providence! Du riche, de l’heureux, elle a fait un objet de pitié pour ses semblables! Quels crimes dois-je donc expier, mon Dieu, pour que vous m’ayez infligé de semblables remords! Je me suis approché à genoux du pauvre blessé,... j’aurais voulu presser sa main sur mes lèvres, mais je n’ai point osé : il doit tant me haïr!.. Muet, brisé, je demeurais abîmé dans ce triste spectacle, quand un nom sorti de la bouche de George, un nom exhalé peut-être dans un rêve de bonheur, est venu frapper mon oreille, me rendre à moi-même, me rappeler mes devoirs... Ces devoirs, je vais les remplir.

« Je pars,... je ne saurais demeurer ici plus longtemps; cette vie est au-dessus de mon courage. Tant que ses jours ont été en danger, je suis demeuré près de lui; Dieu n’eût pas permis que je lui survécusse. Aujourd’hui qu’il n’y a plus à craindre pour sa vie, je ne me sens pas le triste courage de vivre à ses côtés : je ne dois pas lui imposer l’odieuse présence de son bourreau. Je l’ai bien vu au jour où, soutenu par une mortelle anxiété, je demeurais à son chevet, son regard se détournait du mien, sa main fuyait ma main! Le temps, mon repentir apporteront peut-être le pardon dans son cœur; mais il me faut partir... pour lui, pour moi-même, pour ne pas devenir fou. Je dois aller tenter d’engourdir, au milieu des agitations d’une vie aventureuse, les remords qui déchirent mon cœur... Adieu, rêves chéris qui me faisaient l’avenir si beau : désormais le bonheur a fui à jamais loin de moi, et ma vie ne doit plus avoir qu’une pensée, qu’un but, l’expiation d’un malheur involontaire. Aurais-je l’affreux égoïsme d’enchaîner un être chéri à la vie d’un malheureux que le ciel a frappé de sa plus terrible malédiction? Oh! non,... non,... mille fois non! Je pars... En vous écrivant ma résolution, ma tête s’égare;... mais j’aurai du courage jusqu’au bout... Pour vous, pour votre bonheur, cher ange de ma vie, j’aurai la force de vous dire un éternel adieu. Je pars,... Dans huit jours j’aurai à jamais quitté la France.

« J’hésite encore,... et ma tâche n’est pas commencée... mon cœur, ne te brise pas !

« Il y a de cela bientôt un mois, je revenais avec George de chez votre grand-père, heureux, oh! bien heureux! Vous aviez accueilli