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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/586

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Ces lettres, toutes deux encadrées de noir et d’écriture différente, portaient pour adresse : « Madame de Kervey, Brest. » Sur toutes deux, une même main avait tracé ces mots qui croisaient l’écriture : « Robert, souviens-toi ! » Les deux lettres que le marin relut religieusement étaient ainsi conçues :

« Le Soupizot, 23 juin 1822.

« Madame,

« Le pieux désir de remplir les vœux solennels d’un mourant me donne la force de vous écrire auprès du lit de mort de M. de Marmande. Frappé sans espoir la semaine dernière dans une chute de cheval, comme vous l’avez appris, il est mort il y a une heure dans mes bras. Les dernières pensées de M. de Marmande ont été pour nous, madame, pour nos enfans! En me révélant un passé que j’ignorais, M. de Marmande m’a imposé des devoirs que je saurai remplir. « Je désire, m’a-t-il dit, que mes deux fils, élevés ensemble, contractent une de ces amitiés qui ne vous font jamais défaut dans les luttes de la vie. Je veux qu’ils soient par le cœur ce qu’ils sont par le sang, deux frères. » Inconnue de vous, madame, je n’oserais vous parler avec tant de franchise, s’il ne s’agissait de remplir les vœux d’un mourant, de donner un frère à mon fils, un second enfant à mon amour. Dans la douleur où je suis, je n’ai pas la force de vous écrire plus longuement, et attendrai l’honneur de votre réponse pour prendre les mesures qui vous sembleront le plus convenables pour réunir nos deux enfans, mes deux fils!

« Croyez, madame, au sincère attachement de votre obéissante servante,

« JEANNE DE MARMANDE, née DE LA BLANCHERAYE. »

«Le Soupizot, 11 juillet 1839.

« Chère madame,

« Un mot de moi, il y a huit jours, vous a annoncé la mort de ma pauvre mère. J’étais si abattu, si brisé, quoique je prévisse depuis longtemps ce cruel événement, que je n’ai pas eu depuis la force de vous écrire. Aujourd’hui cependant je ne saurais différer plus longtemps à vous donner connaissance du souvenir que ma chère mère a donné, dans ses dernières volontés, à vous-même et à votre fils. Voici les lignes où sa main a constaté l’affection immuable qu’elle vous portait à tous deux :

« A Madame de Kervey, en témoignage de mon bien sincère attachement, le portrait-miniature entouré de brillans de feu M. de Marmande.

«A Robert de Kervey, avec ma bénédiction maternelle, cent mille francs pour sa dot. »

« Comme, en l’absence de votre fils, l’administration de sa for-