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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/64

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les murs de Mathura, où il campe avec les bergers, ses compagnons, il cherche querelle au blanchisseur en chef du palais et le tue, comme il a tué les bêtes de la forêt, d’un coup de poing. Cette agression violente devient tout aussitôt le signal du pillage général des effets précieux appartenant à sa majesté le roi Kans par ces mêmes bergers, qui se comportent en vrais brigands. Enfin commencent les jeux royaux ; Krichna se précipite vers le prince son oncle, le saisit aux cheveux et le met à mort sans pitié, sur quoi la secte se met à proclamer que « l’arc de Civa a été brisé. » Du haut des cieux, les dieux et les demi-dieux applaudissent au triomphe du jeune berger ; on entend au milieu des airs une musique céleste, et sur la terre règne une joie immense. Ne dirait-on pas qu’un nouveau David a terrassé un autre Goliath ? Et pourtant vainqueurs et vaincus appartiennent à la même race, à la même famille ! C’est donc tout simplement l’esprit de secte qui se trahit ici avec son égoïsme sauvage. On pourrait raconter la mort de Kans d’une manière beaucoup plus naturelle et dire : Le roi de Mathura, qui protégeait avec obstination le culte de Civa, fut assassiné dans une fête publique, au sein de sa capitale, par son neveu Krichna, que soutenaient ouvertement les brahmanes sectateurs de Vichnou.

Dans tous les détails de sa vie politique, Krichna, devenu roi, manque de grandeur et d’élévation de caractère. Il n’égale en héroïsme ni Râma, ni les fils de Pândou. À ses meilleurs momens, il rappelle Achille par sa valeur bouillante, comme aussi par sa violence et son emportement ; il aime à se venger et à faire sentir aux vaincus le poids de sa colère. Ses états furent attaqués à plusieurs reprises par les rois de l’Inde centrale, et même envahis par les barbares étrangers à la race aryenne. Krichna fut souvent victorieux dans ces combats ; mais une ligue formidable s’étant formée contre lui, il dut abandonner Mathura et se retirer dans une île du golfe de Kutch, où il fonda une ville nommée Dvârakâ, qui devint sa capitale. Ces événemens, embellis de récits merveilleux par les poètes, n’ont rien au fond que de très vraisemblable ; on peut donc les accepter comme réels et historiques. En les étudiant avec quelque attention, on reconnaît que Krichna n’est point de la famille brillante des conquérans, puisqu’il a fort à faire de se défendre chez lui, ni à celle des pieux héros toujours prêts à honorer les dieux et les brahmanes. Il ne peut être classé non plus parmi les kchattryas accomplis, vrais modèles de chevalerie et de loyauté ; le Mahâbhârata raconte, — sans l’en blâmer il est vrai, — que le divin Krichna s’est abaissé jusqu’ à mentir !

On peut donc affirmer que le berger de Vrindavan, considéré comme la divinité suprême, comme le seigneur des mondes, depuis sa naissance jusqu’à sa mort et dans tous les actes de sa vie, a beau-