Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/680

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes choses prendre un parti absolu et sacrifier sans hésitation les détails secondaires qui doivent être subordonnés. Ces observations faites, et à part le chameau debout qui forme le centre du tableau et relie les groupes de la composition, mais qui a trop d’importance, cet ouvrage est excellent, et on n’a plus qu’à louer. Le Joseph est d’un dessin charmant et d’une extrême élégance ; tout le groupe des marchands ismaélites est d’un très bon caractère. Les figures qui se profilent sur le ciel ont une distinction, une pureté dignes des maîtres. Le ciel est d’une profondeur inouïe ; le désert montueux de Dothaïm, clair et immense, va rejoindre, par des dégradations infinies, un horizon sans limites. Ce n’est pas le désert sans herbe et sans eau, l’océan de sable ; ce n’est pas non plus l’oasis verdoyante : ce sont les grands pâturages intermédiaires où Abraham, Jacob et Laban conduisaient leurs troupeaux, et où l’histoire du monde a commencé.

Éliezer et Rebecca donnent lieu aux mêmes observations. Le premier plan obscur, qui ne sert que de repoussoir au sujet, est un hors-d’œuvre, et décidément M. Decamps emploie trop souvent cet artifice ; mais la composition elle-même est délicieuse. Éliezer incliné, et les bras croisés sur la poitrine, s’avance vers la fille de Bathuel. Cette figure de Rebecca est une des plus poétiques créations de M. Decamps. C’est bien la fille très agréable, la vierge parfaitement belle dont parle la Genèse. Les jeunes filles qui l’accompagnent, celles qui, plus en arrière, portent des amphores, ont une grâce sérieuse qui émeut et ravit. Je ne veux pas comparer ce tableau à celui de Poussin sur le même sujet, et cependant il m’y a fait penser. M. Decamps parle une langue qui est, à lui et qui ne ressemble pas à celle de son grand devancier ; mais les deux ouvrages de ces génies, d’ailleurs si différens, produisent une impression analogue, ce qui me paraît indiquer que les deux maîtres ont compris avec sincérité et simplicité l’un des plus charmans motifs de la poésie et de l’histoire.

Mais de tous les sujets que M. Decamps a empruntés à l’Ancien Testament, celui de Samson me paraît convenir mieux que tout autre à son talent. La vie de Samson forme une suite d’aventures où la grandeur et le drame coudoient l’humour et presque le burlesque. Cet Hercule biblique, qui se venge de ses ennemis en en tuant mille avec une mâchoire, assassine et dévalise des passans pour payer ses paris, ce juge en Israël qui, vaincu par la volupté, livre son secret à une courtisane, présente, à côté de sa signification précise et historique, un sens symbolique qui devait frapper et séduire M. Decamps. Ces admirables cartons[1] ont plus qu’aucun des autres ouvrages

  1. Lithographiés en ce moment par M. Leroux, ils seront bientôt sous les yeux du public.