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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/73

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plaisir de l’entendre plus souvent résonner à leurs oreilles, ils apprennent à leurs perroquets l’art de le répéter correctement.

Il y a pourtant quelque chose de touchant dans cette prière bien courte, mais continuelle, qui s’échappe de la bouche de l’Hindou pauvre et laborieux. Le plus rude travail ne lui fait point oublier le nom de la divinité qu’il aime, et ; dont il porte au front le signe consacré[1]. L’habitant de l’Inde a besoin de croire, il a besoin aussi de pratiquer une religion ; les voleurs et les étrangleurs ont bien leur déesse protectrice ! Subjugué par une nature puissante, l’indigène de ces brûlantes contrées craint Dieu et l’admire dans la splendeur de ses œuvres. Malheureusement tant de fables extravagantes, tant de récits mensongers ont ; troublé son esprit, et son cœur a été perverti par tant d’histoires licencieuses dont les dieux sont les héros, qu’il flotte au hasard des plus folles imaginations. Le niveau de sa moralité baissé donc avec celui de son intelligence. La faute en est au brahmanisme, qui n’a su, ni par ses vertus ni par ses enseignemens, élever l’esprit humain en assignant à l’homme sa vraie place dans la création. Par le dogme des naissances successives, l’homme se trouve abaissé au-dessous de certains animaux, de la vache par exemple, qui occupe parmi les êtres privés de raison la même place que les brahmanes eux-mêmes parmi les mortels. De plus, la notion d’un dieu rémunérateur, accessible à la bienveillance et prêt à tout pardonner à ceux qui l’adorent, n’exclut point en principe la croyance dans la pérennité de la matière. Les mondes sortis du Créateur, dont ils sont une expansion, rentreront dans son sein à certaines époques de destruction pour se produire de nouveau ; ils ne sont, à vrai dire, qu’une illusion trompeuse, une image, comme un reflet de la divinité impersonnelle qui affecte toutes sortes de formes. Quand elle se nomme Vichnou et quand elle se présente à l’adoration des hommes sous les traits de Krichna, cette divinité devient plus précise et plus personnelle. Elle, parle directement aux enfans de la terre ; elle leur enseigne même par quels moyens ils peuvent être sauvés et s’élever jusqu’au monde des dieux secondaires sans avoir à subir de nouvelles épreuves ici-bas ; mais cet enseignement purement dogmatique ne tient aucun compte des idées morales les plus vulgaires. De là ce singulier spectacle d’une religion basée sur l’union des âmes avec Dieu, et dont les cérémonies se composent de fêtes désordonnées et grossières ; de là aussi ces ascètes voués à la pauvreté et à la répression des sens, qui chantent avec enthousiasme les vulgaires amours de Krichna.

  1. Le signe de Krichna (ou de Vichnou) consiste en une double ligne qui part de la naissance du nez et se prolonge jusque derrière la tête.