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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/795

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que vous l’ayez été encore davantage, mère Josefa ; mais enfin, avouez que votre fille n’a pas de rivale dans toute l’île.

— Je sais bien qu’elle a bonne mine, la Manoela.

— C’est cela ; on a une fille charmante d’esprit et de cœur, fraîche comme un printemps, belle comme une rose, et puis on lui dit : — Bah ! une bourse pleine d’or vaut mieux que toi. Adieu. — Parlez franchement, mère Josefa : n’est-ce pas que vous regrettez déjà votre fille ?

— Relève-toi, Diogo, dit la duègne à demi-voix. Tu es un bon garçon et tu aimes ma fille, à ce qu’il paraît. L’amour tourne la tête aux jeunes gens.

— Parlez franchement, répéta Diogo : n’est-ce pas que vous la regrettez ?… Laissez donc couler cette petite larme qui brille sur votre paupière, personne ne la verra que moi, et cela vous fera du bien.

La vieille femme attira le jeune pêcheur dans ses bras, et le pressa sur son cœur en pleurant. — Pourquoi me dis-tu tout cela, mon fils, puisqu’il n’est plus temps ?

— Et moi je vous dis qu’il est encore temps, interrompit Diogo. Il n’y a pas de vent cette nuit, et le navire qui emporte Manoela doit être en calme tout près de l’île. Voulez-vous que je vous ramène votre fille ?

— Si je le veux ! s’écria la duègne, mais tu rendras la joie à mes vieux jours !…

— Eh bien ! les pièces d’or, donnez-moi les pièces d’or, répliqua le pêcheur ; il faut que je les rende aux dames qui vous les ont laissées…

— Ces dames-là sont si riches ! elles n’y songent peut-être plus ?

— Les pièces d’or !… répéta Diogo, garder l’argent d’autrui ? y pensez-vous, mère Josefa ?

— Ces pièces sont si belles ! De l’or du Pérou comme tu n’en avais jamais vu avant aujourd’hui…

— Maudite avarice ! s’écria Diogo en frappant du pied. Donnez vite les pièces, il faut que je parte… Si la brise se lève, le navire s’éloignera, et tout est perdu… La vieille Josefa, haletante et troublée, fouillait sa paillasse d’une main tremblante. C’était là qu’elle avait caché le trésor qu’il lui fallait sitôt abandonner. Elle tirait une à une les grandes onces d’or qui semblaient se coller à ses doigts. Le pêcheur les lui enleva d’une poignée pour les enfermer dans une petite bourse en cuir, puis il fit un pas vers la porte.

— Diogo ! lui cria la duègne saisie d’une subite épouvante, tu ne me trompes pas au moins ? — Le pêcheur secoua les épaules pour toute réponse et se prit à courir à travers champs.