Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/798

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Manoela, debout, prête à partir, son petit paquet sous le bras, d’autant mieux éveillée qu’elle n’avait pu dormir de toute la nuit, regardait alternativement les deux dames, attendant d’elles un mot d’adieu. La Branca faisait retentir avec impatience sur les marches de l’escalier la corne de ses pieds agiles.

— Adieu, petite, adieu, dit Teresa en se retournant pour mieux se rendormir ; garde ton argent, je te le donne. Je suis sûre que j’aurai la migraine toute la journée pour avoir été éveillée si matin.

— Mais, ma fille, interrompit doña Rosario, ce sont là des prodigalités inexcusables…

— Chère mère, dit Teresa d’un ton boudeur, je n’entends plus, je n’écoute plus, je dors… Puisque cela me fait plaisir, qu’il en soit ainsi !

— Voilà qui est tout à fait concluant, répliqua le capitaine à demi-voix ; puis, s’adressant à Manoela, qui ouvrait de grands yeux pleins de larmes provoquées par l’émotion : — Eh bien ! mon enfant, vous êtes expédiée en douane, vos papiers sont en règle, vous n’avez qu’à appareiller.

Manoela éprouvait un sentiment sincère de reconnaissance qu’elle eût voulu exprimer à doña Teresa. Cette jeune fille, qui se faisait obéir à son gré par tous ceux qui l’entouraient et qui laissait tomber de sa main des onces d’or sans les compter, lui apparaissait comme une petite fée capricieuse, mais bienfaisante. Elle déposa un baiser timide sur les boucles de cheveux noirs qui flottaient autour du cou de la jeune Péruvienne endormie, et fit une grave révérence du côté de doña Rosario, qui lui répondit par une grimace de mauvaise humeur. Manoela traversa le pont rapidement, un peu honteuse d’être regardée par les matelots, qui souriaient et semblaient comprendre ce qui se passait dans le cœur du grand pêcheur. Celui-ci tendit la main à la jeune fille et l’aida à descendre dans la barque sans lui adresser une seule parole. Manoela était si troublée qu’elle avait peine à se soutenir. La Branca ne se fit pas prier pour quitter le navire ; elle partit d’un élan si rapide qu’elle franchit la lisse et tomba dans la mer, d’où elle remonta facilement dans le canot, Diogo l’ayant saisie par sa longue touffe de barbe.

— Évente le grand hunier, borde la grand’voile ! cria l’officier de quart ; en route, timonier ! — Le grand navire reprit sa route vers Cadix, et la barque cingla du côté de l’île.

Si Diogo avait eu dans sa barque tous les trésors du Pérou, il n’eût pas ressenti une joie plus vive. Assis à la barre, il regardait avec des yeux ravis la belle Manoela qu’il avait un instant perdue, et qu’une décision subite autant que hardie venait de lui rendre. Celle-ci, appuyée au pied du mât, baissait la tête et frissonnait de temps à autre. L’air vif du matin et l’agitation des vagues, bien hautes