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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/848

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mon sujet des luttes que mon grand-père n’osait soutenir quand il s’agissait de lui-même, de sa propre dignité. Oh! que j’ai souffert aux premiers jours, quand il m’a fallu comprendre par quelles humiliations, par quels remords cet être excellent expiait sa mésalliance! Non, tu ne peux rien rêver de plus brutal, de plus irrespectueux que les procédés de cette créature envers l’homme qui fut son maître. J’ai assisté à ce drame atroce, jour par jour, heure par heure; j’ai vu le vieillard affaibli par les années, par l’habitude du joug, sans force contre une indigne servitude... J’ai vu plus encore; mais ici je m’arrête, car je rougirais de te montrer une épouse infâme outrageant sans pudeur le foyer conjugal.

« Mon mariage vint m’enlever à une position intolérable; cependant j’avais contracté envers mon grand-père des devoirs que mon cœur ne pouvait oublier, et je continuai à l’entourer des soins les plus tendres. Ma nouvelle condition modifia singulièrement les manières altières dont la baronne avait usé à mon égard. Ses procédés devinrent plus civils, sinon plus affectueux, et je pouvais croire que nos relations allaient continuer désormais sur un pied de politesse froide, mais convenable, quand une circonstance insignifiante vint me révéler les véritables sentimens de son cœur.

« Il y a de cela plus d’un an, au passage de l’un des princes à Compiègne, la ville résolut de lui offrir un bal, et mon mari, quoique son état de santé ne lui permit pas de m’y accompagner, exigea que je m’y rendisse sous le patronage de mon grand-père et de sa femme. Le matin, le bon vieillard vint à moi, et me remit un superbe bracelet orné de diamans, en me disant qu’il ne m’en demandait d’autre prix que de le porter au bal le soir même.

« Nous avons bien souvent, chère Kate, dans notre joli Pondichéry, rêvé ensemble des mines de Golconde : ce bracelet était rehaussé de leurs plus brillans produits; aussi je ne me sentis pas de joie, et descendis au salon pour montrer à mon mari le brillant cadeau. La baronne s’y trouvait seule, et je ne pus me dispenser de lui faire part de la libéralité de mon grand-père. Jamais je n’oublierai le regard venimeux qu’elle me lança en voyant dans mes mains le précieux bijou. Toutes les passions haineuses de son cœur se peignirent sur son visage; un sentiment instinctif de terreur m’ôta la force de continuer ma phrase.

« — Vous avez là, madame, un riche bracelet, me dit-elle; faites-le-moi voir, je vous prie. — Et d’un brusque mouvement elle arracha le joyau de mes mains. — Seulement vous auriez tort de croire que vous le porterez ce soir.

« — Eh! pourquoi cela, madame? repris-je tout interdite de ce ton et de ces manières inconvenantes.