Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de souffrance et d’amertume. Au moment où le baron entra dans la remise, un spectacle étrange vint frapper ses regards. Le corps d’un chien braque était suspendu par le cou à une corde attachée au plafond. L’exécution avait eu lieu sans doute peu d’instans auparavant, car le cadavre, encore chaud, se balançait en oscillations régulières. — Oh! mon pauvre Castor! mon seul et dernier ami! dit le baron en se voilant la face de ses deux mains par un mouvement de frénétique désespoir. Un instant le vieillard demeura immobile, abîmé dans une douleur profonde ; mais à cette stupeur première succéda bientôt le plus violent courroux : — C’en est trop, — dit-il avec un râle de colère. Et sortant précipitamment de la remise, il s’avança l’œil enflammé vers les deux domestiques :

— Qui a eu le malheur de tuer Castor? dit le baron d’une voix brève.

— Quelqu’un probablement, à moins qu’il ne se soit mis la corde au cou lui-même, murmura Pascal, qui continua à lisser amoureusement à l’aide d’une peau la main de cuivre de la portière.

— Tu ne m’entends pas, misérable! Je te demande qui a eu le malheur de tuer Castor, répéta pour la seconde fois le baron, qui, hors de lui, appuya fortement sa main droite sur l’épaule de Pascal.

Ce dernier, se retournant brusquement, regarda son maître avec le plus impudent cynisme, puis dit froidement : — Eh bien? après!

— C’est toi, interrompit le baron, écumant de fureur.

— Oui, c’est moi, par l’ordre de Mme la baronne, répliqua le domestique, qui reprit sa tâche immédiatement avec un zèle outré. Une scène violente allait éclater, quand Mme de Laluzerte parut dans la cour des écuries.

— Qu’y a-t-il? que signifie tout ce tapage, mon bon Pascal? dit la baronne avec un ton d’aménité peu familier à ses lèvres.

— Il y a, reprit Pascal d’un ton bourru, que monsieur m’appelle misérable, parce que j’ai suivi les ordres de madame, et fait passer ce matin le goût du pain à cette vieille carcasse de Castor.

— Et il a bien fait, très bien fait, dit la dame, qui, s’adressant cette fois à son mari, reprit le ton aigre et tranchant qui lui était habituel. Je vous l’ai dit, monsieur, poursuivit-elle, je ne veux pas de chiens malades dans la maison, je n’en veux à aucun prix. Sait-on ce qui peut arriver? Hier encore je lisais le récit des affreux malheurs occasionnés à Compiègne par un chien enragé. Il ne me convient pas que, pour satisfaire à vos puériles affections, nous ayons peut-être à déplorer ici une pareille catastrophe, et Pascal n’a fait que m’obéir en tuant ce vilain Castor.

— Et encore il a été pendu, ce qui est, dit-on, une mort pleine d’agrément, ajouta facétieusement Pascal.