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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/87

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de compromettre ses opinions républicaines, auxquelles il veut paraître avoir été fidèle toute sa vie. Il est plein d’adresse pour cacher ce mystère, qui pourrait troubler la paix de son ménage politique. Dieu ! qu’arriverait-il si la république, cette froide épouse légitime de son intelligence, savait que Béranger nourrît en secret un amour plus ardent ? Mais il a beau multiplier les ruses et les finesses de langage, les preuves indirectes de cet amour, — que d’ailleurs nous ne songeons nullement à incriminer, mais que nous devons constater, — sortent de toutes les lignes de ce récit pour celui qui sait lire. Ainsi Béranger tient en quelque sorte pour ennemis tous les ennemis de l’empereur. Il se montre tiède pour ceux qui ont été tièdes envers l’empereur ; il juge les hommes de son temps, non selon la valeur de leurs idées, mais selon la conduite qu’ils ont tenue en 1814 et en 1815. Il est extrêmement froid pour M. de Lafayette, qu’il n’a, dit-il, jamais voulu visiter, alors que sa demeure, avant et après 1830, était le rendez-vous de tous les membres du parti libéral. Savez-vous pourquoi ? Parce qu’il accusait Lafayette de n’avoir pas tenu en 1814 la même conduite que Carnot. Il parle de presque tous les contemporains, sauf des doctrinaires, dont les idées politiques étaient, comme on sait, de toutes les idées qui se rencontrèrent sur le terrain du libéralisme, les plus opposées au gouvernement impérial. À leur égard, il garde un silence complet ; pas un mot sur M. Royer-Collard, sur M. Guizot, sur M. Cousin. Il a fait une exception en faveur de Mme de Staël, mais c’est pour dire qu’il n’a jamais connu ni désiré connaître cette personne illustre, et pour porter sur elle un jugement malveillant en quelques mots très secs et même durs. Nous avons tous connu des partisans de la monarchie qui étaient plus royalistes que le roi ; il y a des momens où Béranger semble plus napoléonien que Napoléon lui-même.

Toutefois le bonhomme est plus changeant que le caméléon, et il échappe facilement alors qu’on croit fermement le tenir. À côté de cet enthousiasme latent pour l’empereur, il a des jugemens très sournois et très malicieux. Il en est un surtout que nous voulons citer tout entier : « Mon admiration pour Bonaparte ne m’a pas empêché de le traiter souvent d’homme de collège. Paoli l’avait bien deviné : c’était sous beaucoup de rapports un héros de Plutarque ; aussi restera-t-il, je l’espère, le dernier et peut-être le plus grand des hommes de l’ancien monde, qu’il aimait à refaire, à sa manière toutefois. Hélas ! rien ne porte malheur comme de lutter contre un monde nouveau. Napoléon a succombé à la tâche : en 1815, justifiant le mot de Paoli, il écrivait au régent d’Angleterre qu’il venait, comme Thémistocle, s’asseoir au foyer, britannique. Le peuple anglais et son prince ont été bien sensibles à ce souvenir de Plutarque. »