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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/879

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porta à ses lèvres. La sagacité de son palais demeura aussi en défaut, et il ne reconnut qu’une saveur saline et métallique, particulièrement désagréable. La curiosité du comte échouait dans ses investigations, quand d’un geste rapide comme la pensée il saisit les pincettes, retira du foyer un charbon ardent, sur lequel il jeta une pincée de poudre qui, pétillant sur le feu, répandit dans l’appartement une odeur alliacée et nauséabonde. L’émotion qui serra en ce moment le cœur du jeune homme dut être sans doute bien puissante, car il eut besoin de s’appuyer contre la cheminée pour ne point glisser sur le parquet.

Ces soupçons, que le délire d’une fièvre ardente eût seul pu excuser, ne maitrisèrent pas longtemps la raison du comte : comme indigné de ses pensées, il précipita dans le foyer, d’un mouvement plein d’horreur, pincettes et papier, et sortit en s’écriant : Ah ! je suis vraiment un infâme!...

Huit heures venaient de sonner à la pendule du salon. A l’exception de Marmande, qui, assis dans un grand fauteuil, se livrait aux plaisirs solitaires du tisonnage, les hôtes du château se pressaient autour de la table ronde sur laquelle M. Cassius avait exposé à l’admiration publique son célèbre costume de highlander. Les fumées des vins généreux du comte, peut-être aussi le sentiment de son importance, avaient développé au plus haut degré la faconde de l’anglomane, et, avec la complaisance d’un cicérone romain devant des ruines antiques, Cassius expliquait les différentes parties de son costume. Claymore, toque et kilt avaient déjà subi l’inspection de la compagnie, et pour le moment le montagnard de l’Oise tenait entre ses mains un de ces instrumens primitifs qui, sous le nom de musette, biniou ou pibroch, ne semblent avoir d’autre spécialité que de glorifier les excellences de la clarinette.

— Ah çà! mon cher ami, dit Jeanicot, qui, en l’absence de M. Desbois, s’était attribué la tâche de faire briller Cassius, est-ce que vous auriez rapporté d’Angleterre le talent du biniou? Vos voisins doivent s’en réjouir.

— Très cher, ne parlez donc pas de ce qui vous est tout à fait inconnu, reprit vivement Cassius, choqué de la méprise du notaire. Ceci n’est point un biniou, mais bien un pibroch, le pibroch écossais, et pour rien au monde je ne céderais le droit de porter ce noble instrument.

— Serait-ce par hasard quelque sortilège, un anneau de Gygès, ou une lampe d’Aladin? ajouta le notaire.

— Vous avez autant d’esprit que d’instruction, je le sais depuis longtemps, reprit Cassius d’un ton cassant; cependant vous n’êtes pas universel : ainsi vous ignorez que le plus haut grade que les lois