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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/883

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clairement établi son cas en ces termes, bien sûr d’avoir raison de la sagacité des jurés.

— Ah monsieur! interrompit la comtesse d’une voix suppliante, de grâce cessez ces horribles paradoxes; même en manière de plaisanterie, ils font mal à entendre.

Les hurlemens du chien, qui n’avaient pas discontinué, devinrent en ce moment plus saccadés, plus nerveux. On ne pouvait se le dissimuler, c’était le râle d’une pauvre bête à l’agonie. Chacun prêta l’oreille à ces plaintes lugubres. Marmande comprit alors pour la première fois ces hurlemens, avant-coureurs de la mort, et les idées les plus incohérentes traversèrent son cerveau.

— Mais, pour Dieu! qu’a donc ce chien? dit-il en se cramponnant à la sonnette, qu’il agita violemment.

La réponse à cet appel ne se fit pas longtemps attendre. La porte du salon s’ouvrit avec fracas, et en deux enjambées Laverdure fut à la cheminée, debout près de son maître. Le vieux garde était prodigieusement pâle; il avait gardé sa casquette sur la tête; tout en lui décelait la plus vive anxiété.

— Monsieur le comte, dit-il, un grand malheur vient d’arriver; Léda se meurt, elle a été empoisonnée.

— Empoisonnée! répéta le comte d’une voix si lugubre et si sourde que l’on eût dit que toutes les fibres de son cœur se détendaient à la fois.

Le visage de Marmande devint livide, et ses membres tressaillirent comme sous le coup d’un choc électrique. Qui eût posé la main sur son cœur eût senti des battemens à briser la poitrine. Il trouva cependant la force de dompter cette émotion suprême, et reprit d’une voix presque calme : — Qu’on lui tire un coup de fusil au front pour abréger son agonie.

Cet épisode étrange fit une profonde impression sur la compagnie, et la conversation demeura froide et languissante jusqu’au moment où la jeune comtesse donna à ses hôtes le signal de la retraite.

Lorsque Mme de Laluzerte avait quitté le salon, elle avait dû traverser les rangs d’une domesticité nombreuse, attirée dans la salle à manger par les sons inouïs du pibroch, et au milieu de laquelle Verdurette se faisait remarquer par son curieux empressement. Ce ne fut qu’après réflexion et avec regret que la jolie chambrière, pensant que la baronne pourrait avoir besoin de ses services dans ses apprêts de départ, se décida à la suivre. Elle avait atteint le haut du premier étage, lorsqu’à son grand étonnement elle s’aperçut que la dame, loin de gagner son appartement, venait de disparaître dans la chambre à coucher de sa maîtresse, dont la porte battait au vent. Saisie alors d’un invincible accès de curiosité, d’un