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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/925

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200,000 hommes qui sont redevenus disponibles pour les travaux ordinaires. En même temps les constructions de Paris se sont ralenties, et bien qu’on projette toujours autant de nouveaux boulevards, on en exécute un peu moins. La raréfaction des bras, qui devenait menaçante pour toute espèce de production, s’est arrêtée. Le mouvement de la population, violemment interrompu, semble reprendre peu à peu son cours. L’apogée de la crise a été atteint en 1854, les décès l’ont emporté sur les naissances de 69,000 ; en 1855, cet excédant de mortalité s’est maintenu, mais en diminuant ; il n’a plus été que de 37,000. Les chiffres de 1856, déjà connus, permettent de compter sur un excédant de naissances d’environ 100,000 ; ce n’est encore que la moitié de la progression normale, mais nous tendons à nous en rapprocher.

Parmi les perturbations révélées par le dénombrement de 1856, l’opinion publique a paru plus frappée du déplacement que du ralentissement lui-même. Au point où il est parvenu, le déplacement a en effet une immense gravité, mais la plus grande partie de sa triste signification lui vient de sa coïncidence avec le ralentissement, Si la population et la production n’avaient cessé de s’accroître, il n’y aurait pas à s’alarmer ; le mal commence quand, au lieu de servir au développement de la richesse, le déplacement y nuit, et c’est ce qui est arrivé. L’agriculture et l’industrie sont sœurs, on ne saurait trop le répéter. Qu’une partie des bras consacrés à l’agriculture se porte sur le travail industriel, les avantages de ce mouvement balancent et au-delà les inconvéniens ; il ne cesse d’être légitime que quand il tient à des causes artificielles, comme l’emploi des deniers publics, et que les bras ainsi détournés se livrent à des occupations improductives. Si la richesse, comme la population, se consomme dans les villes, ce n’est pas l’industrie qu’il faut en accuser, mais le luxe. Toutes les populations urbaines ne sont pas industrielles, et toutes les populations industrielles ne sont pas urbaines. L’agglomération artificielle dans les très grandes villes est surtout ce qui présente les plus grands dangers ; c’est là que règne le luxe avec ses fatales conséquences, là que le spectacle du jeu excite les plus ardentes convoitises, là que fermentent ces passions terribles qui font explosion de temps en temps, en jetant de sinistres lueurs sur les profondeurs de l’abîme social.


LÉONCE DE LAVERGNE.