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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/950

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disait récemment avec beaucoup de justesse, M. Augier est un Gaulois. Oui, M. Augier, quoi qu’il fasse, a essentiellement un tempérament de Gaulois. Il possède tout le mélange de qualités et de défauts que ce mot exprime. Il a plus d’esprit que d’imagination, plus de netteté et de bon sens que de profondeur, plus de gaieté que de grâce, plus de bonne humeur que de rêverie. C’est une nature saine, franche, tournée à la raillerie et à la satire, capable d’invention dans le comique, et à laquelle la crudité et même le cynisme du langage ne répugnent pas. C’est une nature facile, capable d’abandon et d’aimable négligence, aisément heureuse et très propre à communiquer son contentement. Ou je me trompe fort, ou pour M. Augier le ciel n’a jamais de nuage, et la vie n’a que des horizons heureux. Voilà M. Augier tel que je me plais à l’imaginer. — Mais, pourrait-on me répondre, ce n’est pas là le poète tout entier. Et le charme étudié de sa diction, et ce frais sentiment de la nature qui se laisse apercevoir çà et là dans ses œuvres comme un coin de paysage vu d’une lucarne, et ces recherches de grâce rêveuse, et ce lyrisme modéré qu’il essaie d’introduire dans le dialogue et de mêler au style familier ? — Artifices tout cela ! efforts laborieux que j’ose ne pas trouver toujours méritoires ! Dans ses recherches du lyrisme, de la mélancolie ou de la rêverie, M. Augier me fait toujours songer au merle, l’oiseau moqueur, s’essayant à chanter les chansons du rossignol. Que M. Augier ne prenne pas dans un mauvais sens cette comparaison, car le merle est dans son genre un excellent musicien, et certainement s’il essayait de siffler des airs qui ne vont pas à sa voix, il rencontrerait malgré tout de bien jolies notes. C’est aussi ce qui arrive à M. Augier.

Ainsi M. Augier craint d’être lui-même, et il n’est pas parvenu encore à dégager complètement son originalité. Il a nui en outre à son talent en se rendant coupable d’un délit que je lui reprocherai très vivement. Au lieu de chercher à être lui-même et de parler librement en son propre nom, il a consenti à se faire l’interprète d’une certaine opinion littéraire, et il s’est engagé dès le premier jour dans les rangs de cette réaction déplorable qui s’est appelée l’école du bon sens. Il a suivi le courant de l’opinion publique, alors que rien ne l’obligeait à le suivre. Certes, au moment où il écrivait la Ciguë, il s’inquiétait probablement peu de savoir s’il faisait ou non œuvre de réaction. Il obéissait librement à un poétique caprice qui s’était présenté à son imagination. Il débutait, comme on débute toujours, un peu au hasard, avec l’esprit aventureux de la jeunesse, sans se douter qu’il allait bientôt être compté parmi les champions du bon sens, de la morale et des sentimens bourgeois. La Ciguë est une œuvre faite sans aucune préoccupation d’école et de système.