Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/965

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à opprimer les épiscopaux. L’Irlande était tout entière en armes pour la cause du roi Jacques, qui allait fixer un instant sa royauté errante à Dublin, et la guerre s’allumait dans les highlands d’Ecosse. Joignez à cela une guerre étrangère formidable soutenue contre la France, des menaces incessantes d’Invasion, des conspirations permanentes contre le gouvernement nouveau, des tentatives d’assassinat contre le roi Guillaume, la trahison qui se glissait jusque dans les conseils. Marlborough, placé à la tête de l’armée, était le premier des traîtres, servant à la fois Guillaume et Jacques, et ne songeant peut-être qu’à sa propre ambition, à son propre avantage. Tous ces élémens conjurés créaient pour l’Angleterre une situation des plus critiques. Qu’il y ait eu dans les années qui suivirent 1688 des bills d’une criante intolérance, de violentes mesures répressives, des actes d’une rigueur outrée, cela n’est pas douteux. Plus d’une fois on désespéra. Une chose est à observer cependant : ces sévérités exagérées n’empêchaient pas une certaine liberté pratique qui défiait tous les bills, et qui par contre-coup avait elle-même ses excès. Les conspirations n’étaient pas moins actives, les correspondances n’étaient pas moins suivies entre l’Angleterre et la petite cour de Saint-Germain, où devaient se réveiller de singulières illusions, lorsque Marlborough faisait secrètement amende honorable. Des classes entières refusaient le serment au nouveau roi, d’autres le prêtaient en y ajoutant des interprétations équivoques. Les jacobites déclamaient publiquement dans les tavernes, et on écrasait des oranges pourries sous le talon de sa botte. La vérité est que cette Histoire du règne de Guillaume III est bien sans doute le résumé des efforts d’un gouvernement qui se fonde ; mais c’est l’histoire d’un gouvernement qui se fonde au milieu de luttes passionnées, dans des crises à l’issue desquelles la liberté elle-même se trouve fortifiée à l’égal du pouvoir.

Au milieu de ces luttes dramatiques, rien n’est plus frappant que la figure de Guillaume, telle que la peint M. Macaulay, et telle qu’elle apparaît réellement dans l’histoire. Guillaume d’Orange n’avait rien de ce qui peut rendre un roi populaire. Il n’aimait pas trop les Anglais, qui le lui rendaient bien ; il ne faisait nul effort pour plaire, se contentant d’être utile. Ferme lorsqu’il fallait aller combattre à la Boyne, en Irlande, ou sur le continent contre Louis XIV, il se montrait à Londres supérieur à toutes les haines des partis ; il les empêchait de se déchirer ; il prenait ses ministres et ses serviteurs parmi les tories aussi bien que parmi les whigs, qui avaient le plus contribué à son avènement. Il favorisait toutes les transactions et contraignait à la paix épiscopaux, non-conformistes, presbytériens. Le résultat le plus clair de cette politique était celui-ci : Guillaume ne désarmait pas ses ennemis, et il mécontentait ses amis. Peu lui importait, c’était un bienfaiteur intègre, impassible et rude. Il n’y avait pas deux ans qu’il était sur le trône, que, faisant violence au parlement, il publiait un acte de grâce dont n’étaient exceptés qu’un petit nombre de hautes têtes plus particulièrement compromises et les deux bourreaux restés inconnus qui avaient assisté voilés à l’exécution de Charles Ier. Médiateur, modérateur des partis en Angleterre, Guillaume était en même temps l’âme de la coalition européenne contre la France, cette œuvre qui n’était pas moins difficile à conduire que l’organisation d’un régime nouveau. Il avait à faire marcher d’accord l’Es-